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sitôt vers les bois ténébreux, tenant dans ses mains son arc et ses flèches à trois pointes, pour se livrer au plaisir de la chasse, et pour apporter à ses compagnons un souper agréable, ou des sangliers ou une génisse ornée de cornes, ou un chevreau sauvage. Comme il s’égarait, Hylas sortit du navire et le suivit ; mais lui-même se perdit dans une route tortueuse, il erra dans la forêt, et arriva à la grotte des nymphes champêtres. Elles, le voyant dans la fleur de l’adolescence et semblable aux dieux, le retinrent afin qu’il fût immortel au milieu d’elles, et qu’il vécût éternellement sans connaître la vieillesse.

Lorsque le Soleil eut conduit ses chevaux rapides au milieu du jour, un vent favorable et violent souffla de la montagne et vint enfler nos blanches voiles : alors Tiphys ordonna de rentrer dans le navire et de détacher les cordes du rivage. On obéit aux ordres du nautonier ; mais Polyphème monta rapidement sur le sommet de la montagne pour rappeler avec promptitude Hercule au navire. Il ne le rencontra pas, car il était dans la destinée qu’Hercule doué d’une force prodigieuse ne pût pas venir jusqu’au Phasus qui roule de belles ondes. Nous arrivâmes sans lui au matin, vers une terre funeste, dans laquelle Amycus commandait aux Bébryciens parjures.

Amycus, méprisant la vengeance de Jupiter auquel rien n’échappe, déclarait toujours le combat aux hôtes qui habitaient à l’entour, quels qu’ils fussent, quand ils venaient habiter son pays ou sa maison ignominieuse. Il les provoquait insolemment au pugilat. Pollux, d’une force prodigieuse, le tua en le frappant rudement sur la tête avec ses durs cestes. Les Minyens détruisirent par le fer la tourbe vulgaire des Bébryciens ; enfin, étant remis de la fatigue de notre navigation, nous sommes arrivés sur le rivage à la grande ville des Bithyniens. C’est là que le malheureux Phinée, séduit par les charmes et les caresses des femmes, creva les yeux à ses deux fils et les exposa sur des rochers élevés, pour en faire la proie des bêtes sauvages. Mais les fils de Borée les ramenèrent à la vie et leur rendirent la vue. Remplis de colère, ils imposèrent au contraire une cruelle punition à Phinée, et ôtèrent la lumière à ses yeux. Puis ensuite le véhément Borée l’ayant enlevé dans une tempête impétueuse le roula dans les épaisses forêts de la Bistonie, pour qu’il y fût puni par un mauvais destin et par une vie malheureuse.

Nous laissâmes ensuite les contrées de Phinée et nous nous échappâmes sur les plaines immenses de la mer, jusqu’aux rochers de Cyanée, dont ma mère, la sage Calliope, m’avait souvent entretenu. Nul repos dans leur pénible labeur : précipités par les ouragans contraires, ils retombent à l’envi les uns sur les autres, et le bruit tumultueux se répand au-delà de la mer et du ciel spacieux, le bruit de l’onde qui se brise et de la mer profondément émue. Et la mer immense résonne dans les bouillonnemens des flots. J’avais annoncé toutes ces choses à Hayniades, afin qu’il veillât du haut de la poupe, de peur de s’exposer à quelque danger. L’ayant entendu, il resta stupéfait dans son esprit ; mais seul entre tous les héros il cacha dans son cœur ce qui devait arriver. Alors la déesse Minerve, d’après les conseils de Junon, envoya un héron qui se posa à l’extrémité d’une vergue : il volait tristement. Puis porté sur ses ailes rapides il pénétra jusque dans les cavités les plus profondes de ces roches animées. De suite il fut environné ; toutes se soulevèrent et se précipitèrent impétueusement sur lui, cherchant à dévorer l’oiseau, elles engageaient entre elles des combats dangereux. Tiphys, voyant la manière dont le héron, par une fuite impétueuse, échappait à ces périls, avertit les héros en baissant la voix. Ceux-ci le comprirent et sillonnèrent plus rapidement la mer de leur rame. Quant à moi, par la mélodie de mon chant, je parvins à tromper ces roches élevées, et toutes se retirèrent à l’envi ; et les flots s’entr’ouvrirent, et l’abîme s’éloigna du vaisseau, charmé par ma cithare et par mon chant divin. Mais dès que notre navire eut évité le péril de ce passage et les roches Cyanées, elles devinrent immobiles et fixées irrévocablement ; elles restèrent désormais dans cet état, car c’est ainsi que le décidèrent les Parques.

Arrachés aux amères destinées du trépas, nous voguâmes à travers les embouchures du Rhéban, jusqu’au rivage noir dans la longue île de Tynéide, où le Timbre poissonneux bouillonne dans ses rives verdoyantes, et le Sangarius se précipite dans les flots de l’Euxin. Nous étant approchés du bord à force de rames, nous nous arrêtâmes près du courant du Lycus, où le roi Lycus, qui porte le nom du fleuve, commande à des peuples nombreux. Il reçut les