Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/436

Cette page n’a pas encore été corrigée

frappe à coups redoublés le pied de l’arbre. Sûr de ses forces, il saisit ensuite à deux mains le bas du tronc, y appuie sa large épaule, et du premier effort l’enlève avec toutes ses racines et la terre qui y était attachée, tel au milieu de l’hiver, lorsque la constellation d’Orion brille sur les flots, un ouragan fougueux emporte à la fois le mât d’un vaisseau, les cordes et les câbles qui le retenaient. Hercule reprend aussitôt son carquois, sa peau de lion et sa massue, et se met en chemin pour rejoindre ses compagnons.

Hylas est enlevé par une nymphe

Pendant ce temps le jeune Hylas, attentif à préparer le repas de son maître, s’était écarté de la troupe et tenant une urne d’airain, cherchait une claire fontaine pour y puiser de l’eau. Hercule l’avait accoutumé dès l’enfance à le servir, lorsque après avoir tué son père Théodamas, il l’avait enlevé de la maison paternelle. Théodamas, habitant de la Dryopie, était occupé à labourer son champ, et conduisait tristement sa charrue. Hercule, qui ne cherchait qu’un prétexte de faire la guerre aux Dryopes pour les punir de leurs brigandages, lui demanda fièrement un de ses bœufs et sur son refus le massacra lui-même impitoyablement. Mais pourquoi m’arrêter à ce récit ? Hylas, conduit par le hasard, arriva sur le bord d’une fontaine qu’on appelle les Sources. C’était l’heure à laquelle les Nymphes qui habitaient la riante contrée d’alentour, avaient coutume de se rassembler pour chanter, en dansant pendant la nuit, les louanges de Diane [1]. Les Nymphes des montagnes, celles des bois, celles qui demeuraient dans les antres profonds, avaient déjà quitté leur retraite et s’avançaient vers la fontaine. Éphydatie qui l’habitait, levant alors la tête au-dessus de son onde limpide, aperçut le jeune Hylas, et découvrit à la faveur de la lune, qui laissait tomber sur lui ses rayons, l’éclat de sa beauté et les grâces de son visage. Aussitôt l’amour s’empare de ses sens, elle est toute hors d’elle-même et demeure interdite. Hylas, penché sur le bord, plongeait son urne au milieu des ondes, qui se précipitaient avec bruit dans l’airain résonnant. La Nymphe, brûlant d’appliquer un baiser sur sa bouche délicate, lui passe une main autour du cou et le tire de l’autre par le bras. L’infortuné est entraîné au fond des ondes et jette en tombant des cris perçants.

Polyphème, qui était éloigné des autres et attendait le retour d’Hercule, fut le seul qui les entendit. Il courut aussitôt du coté de la fontaine. Tel qu’un lion affamé, entendant le bêlement des moutons, s’approche avec vitesse, et ne pouvant se jeter sur le troupeau que les bergers ont renfermé, pousse pendant longtemps d’affreux rugissements [2], tel le fils d’Élatus fait retentir au loin l’air de ses gémissements. En vain il parcourt en criant tous les lieux d’alentour, rien ne répond à ses cris. Dans cette extrémité, craignant qu’Hylas ne soit devenu la proie des bêtes féroces ou n’ait été enlevé par des brigands, il tire son épée pour voler, s’il le peut, à sa défense [3]. Tandis qu’il courait ainsi en faisant briller son épée dans l’obscurité, il rencontra Hercule qui retournait à grands pas vers le vaisseau. Il le reconnut, et tout hors d’haleine lui adressa ces mots : " Cher compagnon, je vais vous annoncer un funeste accident. Hylas était allé puiser de l’eau à une fontaine et ne reparaît point. Des voleurs ou des bêtes féroces se sont jetés sur lui. J’ai entendu ses cris et ne sais rien de plus."

Tandis qu’Hercule et Polyphème sont occupés à le chercher, le vaisseau part

Tandis qu’Hercule écoutait ce discours, une sueur abondante coulait de son front [4], et son sang bouillonnait dans ses veines. Enflammé de colère, il jette aussitôt le sapin qu’il portait et suit en courant le chemin qui se prèsente à lui. Comme un taureau, piqué par un taon, s’échappe du pâturage, et, fuyant loin des bergers et du troupeau, s’arrête quelquefois, lève sa tête altière, et, pressé par la douleur, pousse d’effroyables mugissements, ainsi Hercule, emporté par sa fureur, tantôt court avec rapidité, et tantôt suspendant sa course, répète avec des cris perçants le nom de son cher Hylas.

Cependant l’étoile du matin brillait sur la cime des montagnes [5], les vents propices commençaient à souffler, et Tiphys pressait ses

  1. :Hic erat Arganthi, Pegae, sub vertice montis
    Grata domus Nymphis humida Thyniasin.
    Properce, I, 20, 23.
  2. Ac veluti pleno lupus insidiatus ovili Quum fremit ad caulas . . . . .Virgil., Aen., IX, 59.
  3. Corripit hic subita trepidus formidine ferrum Aeneas, strictamque aciem venientibus obfert. Virgil., Aen., VI, 290.
  4. Tum gelidus toto manabat corpore sudor. Virgil., Aen., III, 175.
  5. Jamque jugis surnmae surgebat lucifer Idae Ducebatque diem. Virgil., Aen,. II, 801.