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sur le rivage. Comme on voit des essaims d’abeilles sortant d’un rocher qui leur servait de retraite se répandre dans une riante prairie, voltiger en bourdonnant autour des fleurs et cueillir çà et là leur suc délicieux [1], ainsi elles s’empressent toutes en soupirant autour des Argonautes et leur font les plus tendres adieux en priant les Immortels de leur accorder un heureux retour.

Adieux d’Hypsipile et de Jason

Hypsipyle elle-même, tenant les mains de Jason, lui adressa ce discours en pleurant : "Pars donc et que les dieux le ramènent avec tous tes compagnons, rapportant, comme lu le désires, la Toison d’or de Pélias. Cette île et le sceptre de mon père seront toujours à toi si tu reviens un jour en ces lieux, et tu pourras y rassembler de plusieurs contrées un peuple innombrable. Mais non, je le vois, jamais cet empire n’aura pour toi de charmes. Souviens-toi du moins d’Hypsipyle et pendant ton voyage et lorsque tu seras de retour dans ta patrie, et dis-moi ce que je dois faire si les dieux m’accordent de mettre au jour un fruit de nos amours.

— Hypsipyle, lui répondit Jason, puissent s’accomplir les vœux que vous formez pour le succès de notre entreprise ! Mais, au nom des dieux, connaissez mieux mes sentiments. Jamais on ne me verra renoncer à ma patrie. Tout mon bonheur serait de l’habiter un jour en paix après avoir heureusement achevé cette expédition. Si mon destin est de ne jamais revoir la Grèce et que vous mettiez au jour un fils, envoyez-le dès qu’il sera sorti de l’enfance à Iolcos, afin qu’il serve de consolation aux auteurs de mes jours, si toutefois ils vivent encore, et qu’il soit élevé dans leur palais, loin des regards de Pélias."

On descend dans l’île de Samothrace et ensuite dans le pays des Dolions, sur les bords de la Propontide

Il dit et monta le premier sur le vaisseau. Ses compagnons s’empressèrent de le suivre. Argus lâche le câble qui retenait le vaisseau, et tous commencent à ramer avec une nouvelle ardeur. Le soir ils abordèrent, par les conseils d’Orphée, dans l’île de Samothrace, pour se faire initier dans ses mystères sacrés et parcourir ensuite les mers avec moins de danger. Mais qu’allais-je faire en poursuivant mon récit ? Salut à l’île elle-même ! Salut aux dieux invoqués dans des mystères que je ne puis révéler ! Les Argonautes traversèrent le lendemain le golfe Mélas, ayant d’un côté la Thrace, de l’autre file d’Imbros, et arrivèrent peu après le coucher du soleil à la pointe de la Chersonèse. Le vent du midi qui s’élevait leur fit déployer la voile et les porta dans le détroit rapide auquel la fille d’Athamas a donné son nom. Là, ayant à droite la contrée au-dessus de laquelle s’élève le mont Ida, ils doublèrent le promontoire Rhétée, et laissant derrière eux Dardanie, Abyde, Percote, le rivage sablonneux d’Abarnis et l’illustre Pytyie [2], ils arrivèrent heureusement, dans cette même nuit, à l’extrémité de l’Hellespont.

Combat contre des géants

Dans la Propontide, au-delà du fleuve Ésèpe, s’avance en forme de presqu’île une immense montagne appelée par les peuples du voisinage la montagne des Ours. Un isthme escarpé, près duquel les vaisseaux trouvent en tout temps un abri commode, la sépare des plaines fertiles de la Phrygie. Elle est habitée par des fils de la terre, géants fiers et féroces, dont la vue seule inspire l’étonnement et l’effroi. Chacun d’eux fait mouvoir avec facilité six bras d’une force prodigieuse, dont deux sont suspendus à leurs épaules et quatre sont attachés à leurs larges flancs. Les Dolions, que la protection de Neptune, dont ils tiraient leur origine, mettait à couvert des insultes de ces géants, habitaient l’isthme et la plaine qui s’étend au-delà. Le vaillant Cyzique, fils d’Énée [3] et d’Énète, fille de l’illustre Eusorus [4] régnait alors sur ces peuples. Ce fut près de leur demeure que le navire Argo, poussé par les vents de Thrace, aborda dans un port que la nature elle-même avait formé [5]. Les Argonautes y détachèrent, par l’avis de Tiphys, la pierre qui leur servait d’ancre et la laissèrent près de la fontaine Artacie pour en prendre une autre plus pesante. Dans la suite, les Ioniens compagnons de Nélée [6], dociles à l’oracle d’Apollon, consacrèrent cette ancre abandonnée dans le temple de Minerve, protectrice de Jason.

  1. :Ac velut in pratis, ubi apex aestate serena
    Floribus insidunt varii, et candida circum
    Lilia funduntur : strepit omnis murmure campus.
    Virg., VI, 707.
  2. La même que Lampsaque, selon le scholiaste.
  3. Différent d'Énée, fils d'Anchise : celui-ci était originaire de Thessalie, fils d'Apollon et de Stilbé.
  4. Roi de Thrace, dont le fils Acamas commandait les Thraces au siège de Troie. Homère, Illiade II, vers 844.
  5. Haec fessos tuto placidissima porta adcipit. Virg., Aen., III, 78.
  6. 1077 ans environ avant l'ère chrétienne, Nélée, fils de Codrus, dernier roi d'Athènes, conduisit dans l'Asie Mineure une colonie d'Ioniens dont une partie vint s'établir dans la ville de Cyzique.