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Cependant Aétès place au milieu de la troupe des Argonautes une charrue plus dure que le diamant ; il y attelle seul deux taureaux, qui de leurs narines enflammées exhalent des torrens de feu et tour à tour creusent la terre de leurs pieds d’airain. Il les presse, et le soc soulevant en glèbes énormes le sein de la terre entr’ouverte, trace derrière eux un sillon d’une orgye de profondeur. Puis il ajoute : Que le héros qui commande ce navire, achève mon ouvrage, et je consens qu’il emporte l’immortelle toison que l’or fait briller de tout son éclat.

À peine a-t-il achevé ces mots que Jason soutenu par Vénus jette son manteau de pourpre et commence la pénible épreuve. Les flammes que sur lui soufflent les taureaux, ne l’effraient pas grâce aux magiques secrets de son amante. Il arrache la charrue pesante du sillon où elle est enfoncée, force les taureaux à courber sous le joug leur tête indocile, et pressant de l’aiguillon leurs énormes flancs, les contraint à parcourir l’espace qui est prescrit.

Aétès, quoique saisi d’une douleur secrète, ne peut s’empêcher d’admirer une force si prodigieuse ; les compagnons du héros au contraire lui tendent les mains, couronnent son front de verts feuillages et lui prodiguent les témoignages de la plus tendre amitié. Aussitôt le fils du Soleil lui indique le lieu où l’épée de Phryxus a suspendu la riche dépouille du bélier. Il se flattait qu’il ne pourrait jamais en achever la conquête, car ce trésor précieux, caché dans les sombres profondeurs d’une forêt, était confié à la garde d’un dragon dont la gueule béante était armée de dents voraces, monstre affreux qui surpassait en masse et en longueur un vaisseau à cinquante rangs de rames.

Mais, ô ma Muse ! c’est trop s’écarter du sujet ; il est temps de rentrer dans la carrière des chars : les voies abrégées ne te sont pas inconnues, et quand la sagesse te l’ordonne on t’y voit marcher la première. Il me suffira donc ô Arcésilas ! de te dire que Jason tua par ruse le dragon aux yeux azurés, à la croupe tachetée ; qu’avec la toison il emmena Médée, et que Pélias tomba sous leurs coups.

Après avoir erré sur les gouffres de l’océan et parcouru les plages de la mer Érythrée, les Argonautes abordèrent à Lemnos ; ils y célébrèrent des jeux où leur mâle courage obtint pour récompense le superbe vêtement qu’on distribuait aux vainqueurs, et s’unirent par l’hymen aux femmes dont la jalousie venait d’immoler leurs époux. Ainsi les destins avaient marqué ce jour ou la nuit mystérieuse qui le suivit, pour faire éclore dans cette terre étrangère les premiers rayons de la gloire de tes ancêtres, ô Arcécilas ! Ainsi Euphémus vit naître et s’accroître sa nombreuse postérité ; Lacédémone la reçut dans son sein, et par la suite elle alla s’établir dans l’île de Callista. De là, le fils de Latone la conduisit dans les fertiles campagnes de la Lybie, où, sous la protection des dieux, il la fit régner avec équité et sagesse sur la divine cité de la nymphe Cyrène au trône d’or.

Maintenant, nouvel Œdipe, fais usage, ô Arcésilas ! de toute la pénétration de ton esprit.

Un chêne robuste est tombé sous le tranchant de la hache ; il a vu dépouiller ses rameaux et flétrir à jamais sa beauté. Mais quoiqu’il ait cessé de porter du fruit, ne pourra-t-il désormais être d’aucune utilité, soit que dans nos foyers il chasse l’hiver et la froidure, soit que transporté loin du sol qui l’a vu naître et appuyé sur deux hautes colonnes il soutienne un poids immense ou les murs d’un palais étranger.

Comme un habile médecin, tu sais, Arcésilas guérir les maux qu’endurent tes sujets ; favori d’Apollon, tu dois appliquer le remède sur leurs plaies d’une main douce et bienfaisante. Il est aisé d’ébranler un empire, les moindres citoyens le peuvent ; mais combien n’est-il pas plus difficile de le rasseoir sur ses bases, à moins qu’un dieu puissant ne dirige les efforts des rois. Les Grâces t’ont réservé la gloire d’un tel ouvrage ; continue à veiller au bonheur de Cyrène, et ne te lasse pas de lui consacrer tes soins.

Pèse dans ta sagesse cette maxime d’Homère, et justifie-la : « L’homme de bien est toujours favorable au message dont il se charge. » Les chants des Muses ont même plus de pouvoir, quand sa bouche les fait entendre. Cyrène et l’auguste maison de Battus ont connu la justice de Démophile. Quoiqu’il soit encore au printemps de la vie, ses conseils furent constamment ceux d’un sage vieillard, et sa prudence parut toujours mûrie par cent années. Il ne prostitue point sa langue à la médisance ; il sait combien il est odieux l’homme ami de l’injure, et jamais les gens de bien ne trouvè-