Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

estampe ; on voit à la suite l’édition d!un manuscrit grec (recueilli à Milan par Constantin Lascaris, homme de lettres célèbre, de la famille des empereurs d’Orient) qui a pour titre : Prolégomènes sur Orphée. Cet opuscule grec, accompagné d’une version latine, est d’autant plus curieux qu’il paraît avoir été fait d’après des écrivains de l’antiquité que nous n’avons plus. Lascaris, sorti de Constantinople au milieu du quinzième siècle, trouva ces Prolégomènes dans un état de détérioration qui lui fit désespérer longtemps de régénérer l’ouvrage. Il fait entendre qu’ils servirent originairement de préface au poëme des argonautes. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, l’opuscule nous guidera plus d’une fois dans le cours de cette histoire.

A mesure que nous descendons vers le siècle de Louis XIV, les nuages s’épaississent, soit parce qu’il y a moins de monumens intermédiaires entre nous et l’âge d’Orphée, soit parce que l’érudition du temps s’occupait plus à citer fidèlement des autorités contradictoires qu’à faire jaillir,des contradictions mêmes des écrivains, des traits de lumière qui menassent à la vérité.

J’ai feuilleté avec le plus grand soin le Thesaurus antiquitatum en quatre-vingt-cinq volumes in-folio de Grœvius et de Gronovius ; et, quoique ce soit un vrai trésor pour les amateurs de recherches, à une médaille près, je n’y ai pas trouvé une seule petite pièce d’airain frappée au coin d’Orphée, un seul monument qui portât l’empreinte de ce grand homme.

Dans la crainte de m’égarer plus longtemps dans un dédale de vaines conjectures, j’ai eu recours au savant Fabricius, qui passe pour avoir défriché avec le plus de succès les landes bibliographiques des premiers âges. Sa Bibliothèque grecque offre en effet sur Orphée une notice plus longue que les ouvrages mêmes dont elle présente l’analyse : toutes les sources y sont indiquées avec un scrupule religieux. Il n’y a point de distique dans Athénée, point d’hémistiche dans l’Anthologie ayant un rapport direct ou indirect avec l’époux d’Eurydice, qui n’y trouve sa place : malheureusement la critique, sans laquelle les faits ne sont que des contes de féerie, est nulle. On voit que Fabricius sait rassembler de toutes les parties du monde des pierres bien ou mal taillées pour en former des assises, mais qu’il n’a point le génie de l’architecte pour en construire un grand édifice.

Ce défaut d’ordonnance dans la bibliothèque grecque était senti par tous les gens de goût en France, en Angleterre et en Allemagne, et on en demandait de toute part la réforme : elle a été commencée en effet dans la quatrième édition donnée en 1790 par les soins de Harles[1]. Il a ajouté quelques notes tirées de la littérature moderne, quelques supplémens qui auraient plus de prix si les citations étaient toujours exactes : mais le chaos ancien est le même. En général, l’éditeur trop circonspect marche toujours avec Fabricius et ne le devance jamais : l’Orphée surtout, qui demandait à être placé sur le devant de la scène, reste dans l’ombre au fond de la perspective.

Cette critique sage et lumineuse, que j’avais cherchée vainement dans la Bibliothèque de Fabricius, devait naturellement se rencontrer dans le plus beau monument de littérature des âges modernes, dans les mémoires de l’Académie des belles lettres. Malheureusement ce beau sujet ne s’est point trouvé sous la plume des hommes célèbres à qui on doit ce grand ouvrage et dont le génie aurait rendu mon travail inutile ; dans les quarante-six volumes de la collection in-4o, je ne vois que deux mémoires où cette matière soit effleurée : l’un de l’illustre Fréret, où, à propos de Recherches sur le culte de Bacchus parmi les Grecs[2], on insinue, d’après-un opuscule perdu d’Aristote, qu’Orphée n’est probablement qu’un être de raison ; l’autre, plus direct, traite de la vie orphique[3]. On y expose presque sans critique les traditions vulgaires des savans sur le législateur de la Thrace : la dissertation est de l’abbé Fraguier et ne contient que six pages.

Privé de guides dans une matière d’autant plus délicate qu’elle prêtait davantage aux conjectures, j’ai eu recours aux meilleures éditions des œuvres attribuées à Orphée ; convaincu que la lumière, trop disséminée dans les livres étrangers à mon sujet, se trouverait réunie dans les préfaces des écrits qui occupaient ma plume, ou dans leurs prolégomènes.

L’édition princeps d’Orphée, imprimée à Florence, en 1500, quoique la base de celle des Aldes, qui parut dix-sept ans après, ayant été faite sur un manuscrit souvent incorrect et quelquefois infidèle, fourmille de fautes, suivant le jugement du célèbre Henri Estienne, qui donna en 1566 la première édition vraiment pure des trois ouvrages qui portent le nom d’Orphée, c’est-à-dire des Hymnes, du long fragment sur les Pierres et de l’espèce de poëme épique des Argonautes[4].

  1. Fabicii Bibliotheca græca, editio quarta, curante Harles, Hamburg, Ernest Bohn, 1790, in-4o.
  2. Mémoires de l’Académie des inscript., XXIII.
  3. Acad. des Inscript., t.V, p. 117.
  4. L’édition princeps est in-4o, et purement grecque, ainsi que celles des Aldes et de Henry Estienne ; elle porte pour titre, Orphei Argonautica et Hymni. Le traité de Lapidibus ne s’y trouve pas : l’éditeur a mis, à la place, des hymnes attribuées au philosophe Proclus.
    Le premier écrivain qui donna une version latine d’Orphée est un italien assez peu connu, nommé Cribello. Elle est en prose mesurée, que l’auteur appelle des vers : son format est in-folio, et porte la date de 1519.
    Trente-six ans après Cribello, Perdrier, savant de Paris, non moins inconnu dans les lettres, donna une seconde traduction qu’il eut le bon esprit de faire en prose. Elle porte pour titre :
    Orphei opera, per Renatum Perdrierium parisiensem, ex officinâ Operini ; Basileæ, 1555. Elle est du format in-8o. Ces deux versions, de Perdrier et de Cribello, faites sans littérature grecque et surtout sans goût, ne sont connues aujourd’hui que des bibliographes.