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les gorges d’une montagne, un sanglier à l’aspect farouche, aux dents menaçantes, brûle de combattre une troupe de chasseurs, la tête baissée, il aiguise contre eux ses blanches défenses ; l’écume ruisselle de sa gueule prête à les déchirer ; ses yeux ressemblent à la flamme étincelante, et sur son dos, sur son cou se dressent ses poils frémissans : tel le fils de Jupiter s’élança de son char. C’était la saison où la bruyante cigale aux noires ailes (52), assise sur un verdoyant rameau, commence à prédire aux hommes par ses chants le retour de l’été, la cigale, qui choisit pour boisson et pour nourriture la féconde rosée, et depuis l’aurore jusqu’au déclin du jour ne cesse de faire entendre sa voix, au milieu de la plus ardente chaleur, lorsque le Sirius dessèche tous les corps ; c’était la saison où le millet, semé dans l’été, se couronne d’épis, où l’on voit se colorer ces verts raisins que Bacchus donne aux humains pour leur joie et pour leur malheur : c’était alors que ces héros combattaient, et leurs tumultueuses clameurs retentissaient de toutes parts. Tels deux lions, se disputant une biche qui vient de périr, s’élancent furieux l’un contre l’autre ; ils poussent d’affreux rugissemens et leurs dents s’entre-choquent : tels encore, sur une roche élevée, deux vautours aux serres aiguës, aux becs recourbés, combattent à grands cris pour une chèvre des montagnes ou pour la grasse dépouille d’une biche sauvage, que tua la flèche lancée par l’arc d’un jeune chasseur ; tandis que ce chasseur s’égare, incertain de sa route, ils s’en aperçoivent aussitôt et commencent une lutte opiniâtre : ainsi les deux rivaux se jetèrent, en criant, l’un sur l’autre. Cycnus, impatient d’immoler le fils du puissant Jupiter, frappa son bouclier d’un javelot d’airain, mais sans pouvoir le briser ; car les présens de Vulcain défendaient Hercule. Le fils d’Amphitryon, le puissant Hercule, lançant rapidement sa longue javeline, atteignit Cycnus au-dessous du menton, entre le casque et le bouclier, à l’endroit où le cou restait découvert ; la pointe homicide lui trancha les deux muscles, car son vainqueur l’avait accablé d’un coup violent. Il tomba comme un chêne ou un roc élevé frappé par la brûlante foudre de Jupiter. Dans sa chute, retentirent autour de lui ses armes étincelantes d’airain. Le fils patient de Jupiter abandonna sa victime, et voyant s’avancer Mars, ce fléau des humains, lui lança de farouches regards. Lorsqu’un lion a trouvé un animal vivant, soudain de ses ongles vigoureux il le déchire et lui arrache la douce existence ; son cœur avide se rassasie de sa fureur ; il roule des yeux effrayans, bat de sa queue ses flancs et ses épaules, creuse du pied la terre, et nul à cet aspect, n’ose s’approcher de lui, ni le combattre : ainsi le fils d’Amphitryon, insatiable de batailles, se présenta en face de Mars et son audace s’enflamma plus encore au fond de son cœur. Mars s’avança, la douleur dans l’âme et tous les deux, en criant, fondirent l’un sur l’autre. Comme une pierre (53) détachée du faîte d’une montagne, roule et bondit au loin avec un grand fracas, lorsque enfin elle rencontre dans une colline élevée un obstacle qui arrête sa chute : tel le funeste Mars qui fait plier les chars (54) sous son poids, s’élança, poussant d’effroyables clameurs ; Hercule soutint son choc avec fermeté. Alors Minerve, fille de Jupiter maître de l’égide, alla au-devant de Mars en agitant sa ténébreuse égide, et, le regardant d’un œil irrité, elle fit voler de sa bouche ces paroles ailées :

« Ô Mars ! apaise ta bouillante audace et retiens tes mains invincibles. Le sort ne te permet pas de tuer Hercule, ce fils intrépide de Jupiter, ni de le dépouiller de sa glorieuse armure. Cesse donc le combat et ne lutte pas contre moi. »

Elle dit, mais ne persuada point le cœur magnanime du dieu Mars. Mars, brandissant à grands cris ses armes semblables à la flamme, se précipita aussitôt sur le puissant Hercule ; impatient de l’immoler et furieux du trépas de son fils, il atteignit de sa lance d’airain le vaste bouclier. Mais Minerve aux yeux bleus, se penchant hors du char, détourna le choc impétueux de la lance. Mars, en proie à une vive douleur, tira son glaive acéré et se jeta sur le généreux Hercule. Tandis qu’il accourait, le fils d’Amphitryon, insatiable de combats et de carnage, frappa d’un coup violent sa cuisse restée à découvert sous le magnifique bouclier. Armé de la lance, il déchira sa chair de part en part, et le renversa au milieu de l’arène. Soudain la Fuite et la Terreur firent avancer son char agile et ses coursiers ; puis l’enlevant de la terre aux larges flancs, elles le portèrent sur ce char magnifique, frappèrent du fouet les chevaux et remontèrent dans le vaste Olympe.