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rivalité ; debout sur leurs chars magnifiques, ils lançaient leurs légers coursiers et leur lâchaient les rênes : ces solides chars volaient en bondissant et les moyeux des roues retentissaient au loin. Cependant les rivaux redoublaient d’efforts ; la victoire ne se déclarait pas et le combat restait indécis. Dans la lice brillait à tous les yeux un grand trépied d’or, glorieux ouvrage de l’habile Vulcain.

Enfin l’Océan (40), qui semblait rempli de flots, coulait de toutes parts autour du superbe bouclier. Des cygnes au vol rapide jouaient à grand bruit au milieu de ces flots ; plusieurs nageaient sur la surface des vagues et les poissons s’agitaient autour d’eux, spectacle surprenant même pour le dieu du tonnerre qui avait commandé à l’adroit Vulcain cette vaste et solide armure ! Le généreux fils de Jupiter la saisit avec ardeur et d’un saut léger s’élança sur le char, pareil à la foudre de son père qui porte l’égide. Son valeureux écuyer, Iolaüs, assis sur le siège, conduisait le char recourbé. Alors la déesse aux yeux bleus, Minerve (41) s’approcha des deux héros et pour les animer encore, fit voler de sa bouche ces paroles ailées : « Salut, ô descendans du fameux Lyncée (42) ! Puisse le roi des bienheureux immortels, Jupiter, vous donner aujourd’hui la force d’immoler Cycnus et de le dépouiller de sa glorieuse armure ! Mais, écoute mes conseils, Hercule, ô toi, le plus courageux des hommes ! Quand tu auras privé Cycnus de la douce existence, laisse-le avec ses armes étendu sur l’arène. Observe l’approche de Mars, ce fléau des mortels, et frappe-le (43) de ta lance acérée à l’endroit que tu verras nu sous le magnifique bouclier. Après, éloigne-toi ; car le sort ne te permet point de t’emparer de ses chevaux, ni de sa glorieuse armure (44). »

À ces mots, la puissante déesse monta (45) promptement sur le char, portant la victoire et la gloire dans ses mains immortelles. Alors, d’une voix terrible, Iolaüs, issu de Jupiter, excita les chevaux qui, effrayés de ses menaces, emportèrent le rapide char en couvrant la plaine de poussière. Minerve aux yeux bleus, secouant son égide, leur avait inspiré une nouvelle ardeur et la terre gémissait sous leurs pas.

Cependant Cycnus, ce dompteur de coursiers, et Mars, insatiable de combats, s’avançaient de front, semblables à la flamme ou à la tempête (46). Les chevaux des deux chars, arrivés les uns devant les autres, poussèrent des hennissemens aigus qui perçaient les échos d’alentour. Le puissant Hercule parla ainsi le premier :

« Lâche Cycnus ! pourquoi diriger ces rapides coursiers contre des hommes endurcis comme nous par le travail et par la souffrance ? Détourne ton char éclatant et cède-moi le chemin. Je vais à Trachine (47), auprès du roi Ceyx (48), qui, puissant et respecté, règne dans cette ville : tu le sais par toi-même, puisque tu as épousé sa fille, Thémisthonoë aux yeux noirs. Lâche ! Mars ne repoussera pas la mort loin de toi, si nous nous mesurons tous les deux. Jadis, il éprouva le pouvoir de ma lance lorsque, me disputant la sablonneuse Pylos, il osa me résister, dans son insatiable ardeur de guerre et de carnage. Blessé trois fois, il se vit forcé de s’appuyer contre la terre ; j’avais déjà frappé son bouclier, lorsque du quatrième coup je lui perçai la cuisse, en l’accablant de toute ma force ; je déchirai sa chair de part en part, et, le front dans la poussière, il tomba sous le choc de ma lance. Alors, couvert de honte, il retourna parmi les immortels, laissant entre mes mains ses dépouilles sanglantes. »

Il dit, mais le belliqueux Cycnus ne voulut pas, docile à la demande d’Hercule, détourner ses vigoureux coursiers. Aussitôt le fils du grand Jupiter et le fils du terrible Mars (49) s’élancèrent du haut de leurs solides chars. Les écuyers rapprochèrent les chevaux à la belle crinière et sous le choc de leurs pas la vaste terre gémit profondément. Comme, du faîte élevé d’une grande montagne, de lourds rochers se précipitent en roulant les uns sur les autres, et dans leur rapide chute entraînent un grand nombre de chênes à la haute chevelure, de pins et de peupliers aux profondes racines, jusqu’à ce que ces confus débris arrivent tous dans la plaine : ainsi les deux héros s’attaquèrent avec des cris effrayans. Toute la ville des Myrmidons, la célèbre Iaolchos, Arné, Hélice, Anthée aux gras pâturages retentirent des longs éclats de leur voix (50) ; car ils s’entre-choquèrent en poussant d’incroyables clameurs. Le prudent Jupiter fit gronder au loin son tonnerre et laissa tomber du ciel des gouttes de sang (51), pour donner à son fils intrépide le signal du combat. Lorsque, dans