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donne. Ne va point placer ta fortune entière sur tes profonds vaisseaux ; laisse le plus grand nombre de tes biens et n’emporte que la moindre partie. Il est aussi terrible de rencontrer sa perte dans les vagues de la mer, que si, après avoir placé sur un chariot un fardeau trop pesant, tu voyais se briser son essieu et se perdre toutes les marchandises.

Agis toujours avec prudence. L’occasion en toute chose est ce qui vaut le mieux. Conduis une épouse dans ta maison, quand tu n’auras ni beaucoup moins, ni beaucoup plus de trente ans : c’est l’âge convenable pour l’hymen. Que ta femme soit nubile depuis quatre ans, et se marie la cinquième année. Epouse-la vierge, afin de lui apprendre des mœurs chastes. Choisis surtout celle qui habite près de toi. Examine attentivement tout ce qui l’entoure, pour que ton mariage n’excite pas la risée de tes voisins. Car s’il n’est pas pour l’homme un plus grand bien qu’une vertueuse femme, il n’est pas un plus cruel fléau qu’une femme vicieuse qui, ne recherchant que les festins, brûle sans flambeau l’époux le plus vigoureux et le réduit à une vieillesse prématurée.

Respecte toujours la puissance des bienheureux immortels. Ne rends pas ton ami l’égal de ton frère, ou, si tu agis ainsi, ne lui fais jamais tort le premier. Ne mens pas pour le plaisir de parler. Si ton ami commence à t’offenser par ses discours ou par ses actions, souviens-toi de le punir deux fois. Si, jaloux de rentrer dans ton amitié, il t’offre lui-même satisfaction, reçois-la. On est trop malheureux quand on change d’ami trop souvent. Que jamais ton visage ne trahisse ta pensée. Ne cherche point à passer pour un homme qui reçoit beaucoup d’hôtes, ni pour un homme qui n’en reçoit aucun. Ne sois ni le compagnon des méchans, ni le calomniateur des gens de bien. Garde-toi de reprocher à personne la pauvreté qui dévore l’âme, la pauvreté, ce funeste présent des bienheureux immortels. Une langue avare de discours est un trésor parmi les hommes. C’est la mesure des paroles qui en compose la grâce la plus précieuse. Si tu es médisant, bientôt on médira de toi davantage. Ne sois pas morose dans ces festins que de nombreux amis célèbrent en commun ; le plaisir en est très-grand et la dépense très-petite. Au lever de l’aurore, ne consacre point avec des mains impures (32) un vin noir à Jupiter et aux autres immortels ; ils ne t’écouteraient pas et repousseraient les prières. Quand tu veux uriner, ne reste pas debout, tourné contre le soleil, et même depuis le coucher de cet astre jusqu’à son lever, ne le fais pas en marchant au milieu ou en dehors du chemin, ni en te découvrant. Les nuits appartiennent aux dieux. L’homme sage et pieux satisfait ce besoin lorsqu’il est assis, ou qu’il s’approche du mur d’une cour étroitement fermée.

Dans ta maison ne va point, tout souillé d’une humide semence, te découvrir devant le foyer ; évite une telle indécence. Engendre la postérité non pas au retour d’un repas funèbre au sinistre présage, mais après le festin des dieux. Ne traverse jamais à pied le limpide courant des fleuves intarissables, avant d’avoir prié à l’aspect de leurs belles eaux et lavé tes mains dans ces ondes transparentes de blancheur. L’homme impie qui traverse un fleuve sans y purifier ses mains provoque la colère des dieux et s’attire des malheurs dans l’avenir. Dans le festin solennel des dieux, ne sépare jamais avec le noir couteau les vieux ongles des ongles encore neufs. Ne place pas l’urne du vin au-dessus de la coupe des buveurs ; car cette action deviendrait un présage fatal.

Quand tu bâtis une maison ne la laisse pas imparfaite de peur que la criarde corneille ne croasse du haut des murs. Garde-toi de manger ou de te laver dans les vases non encore consacrés ; ce délit t’exposerait au châtiment. Ne laisse pas s’asseoir sur l’immobile pierre des tombeaux un enfant de douze ans ; ce serait mal agir et tu n’en ferais qu’un homme sans vigueur ; n’y place pas non plus un enfant de douze mois : l’inconvénient serait le même. Homme ne lave pas ton corps dans le bain des femmes ; autrement tu subirais un jour une punition sévère. Si tu arrives au milieu d’un sacrifice déjà commencé, ne le moque point des mystères (33) ; la divinité s’en irriterait. Ne va point uriner dans le courant des fleuves qui coulent vers la mer, ni dans l’eau des fontaines ; garde-toi de les profaner ainsi. N’y satisfais pas également d’autres besoins ; une telle action ne serait pas plus louable. Évite une mauvaise renommée parmi tes semblables. La renommée est dangereuse ; son fardeau est léger à soulever, pénible à supporter et difficile à déposer. La renommée que des peuples nombreux répandent au loin, ne périt jamais tout