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dès qu’ils aperçurent cette fatale merveille si terrible aux humains ; car de cette vierge est venue la race des femmes au sein fécond, de ces femmes dangereuses, fléau cruel vivant parmi les hommes et s’attachant non pas à la triste pauvreté, mais au luxe éblouissant. Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu’au mal, depuis le lever du jour jusqu’au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d’un travail étranger : ainsi Jupiter, ce maître de la foudre, accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes, complices de toutes les mauvaises actions.

Voici encore un autre mal qu’il leur envoya au lieu d’un bienfait. Celui qui, fuyant l’hymen et l’importune société des femmes, ne veut pas se marier et parvient jusqu’à la triste vieillesse, reste privé de soins ; et s’il ne vit pas dans l’indigence, à sa mort, des parens éloignés se divisent son héritage (41). Si un homme subit la destinée du mariage, quoiqu’il possède une femme pleine de chasteté et de sagesse, pour lui le mal lutte toujours avec le bien. Mais s’il a épousé une femme vicieuse, tant qu’il respire, il porte dans son cœur un chagrin sans bornes, une douleur incurable. On ne peut donc ni tromper la prudence de Jupiter ni échapper à ses arrêts. Le fils de Japet lui-même, l’innocent Prométhée n’évita point sa terrible colère ; mais, vaincu par la nécessité, malgré sa vaste science, il languit enchaîné par un lien cruel.

Saturne, irrité dans son âme contre Briarée, Cottus et Gygès, s’empressa de les attacher par une forte chaîne, bien qu’il admirât leur audace extraordinaire, leur beauté et leur haute stature ; il les renferma dans la terre aux larges flancs. Là, en des lieux reculés, aux extrémités de cette terre immense, ils souffraient un sort rigoureux et gémissaient, le cœur en proie à une grande tristesse ; mais Jupiter et les autres dieux immortels que Rhéa aux beaux cheveux avait conçus de Saturne, les rendirent à la clarté du jour, d’après les conseils de la Terre. En effet, la Terre, par de longs discours, leur fit comprendre qu’avec ces guerriers ils obtiendraient la victoire et une gloire éclatante. Longtemps éprouvés par de pénibles travaux les dieux Titans et les enfans de Saturne (42) se livrèrent entre eux de terribles batailles. Du haut de l’Othrys les glorieux Titans, du faîte de l’Olympe, les dieux auteurs de tous les biens, les dieux que Rhéa aux beaux cheveux avait engendrés en s’unissant à Saturne, continuèrent leur sanglante lutte durant dix années entières. Cette funeste guerre n’avait ni terme ni relâche, et l’avantage flottait égal entre les deux partis. Enfin, Jupiter, dans un riche festin, prodigua à ses défenseurs le nectar et l’ambroisie dont se nourrissent les dieux même ; leur généreux courage se réchauffa dans toutes leurs âmes ; quand le nectar et la douce ambroisie les eurent rassasiés, le père des dieux et des hommes leur adressa ces paroles :

« Ecoutez-moi, nobles enfans de la Terre et d’Uranus, je vous dirai ce que mon cœur m’inspire. Déjà, depuis trop longtemps, animés les uns contre les autres, nous combattons chaque jour pour la victoire et pour l’empire, les dieux Titans et nous tous qui sommes nés de Saturne. Dans ces combats meurtriers, opposés aux Titans, montrez-leur votre force redoutable et vos mains invincibles. Fidèles au souvenir d’une douce amitié, songez qu’après de longues souffrances, affranchis par notre sagesse d’une chaîne cruelle, vous êtes remontés d’un abîme de ténèbres à la lumière du jour. »

Il dit. L’irréprochable Cottus répliqua en ces termes : « Dieu respectable ! tu ne nous apprends rien de nouveau. Nous aussi, nous savons combien tu l’emportes en sagesse et en intelligence. Tu as repoussé loin des immortels une horrible calamité. C’est grâce à ta prudence que nous avons été arrachés de notre obscure prison et délivrés de nos fers douloureux, ô roi, fils de Saturne ! après avoir enduré des tourmens inouïs. Maintenant donc, remplis d’une sage et ferme volonté, nous t’assurerons l’empire dans cette guerre terrible, en bravant les Titans au milieu des ardentes batailles. »

Il dit. Les dieux, auteurs de tous les biens, approuvèrent ce discours, et leur cœur brûla pour la guerre d’un désir plus violent que jamais. Dans ce jour, un grand combat s’engagea entre tous les dieux et toutes les déesses, entre les Titans et les enfans de Saturne que Jupiter tira des abîmes souterrains de l’Erèbe, pour les rappeler à la lumière, armée formidable, puissante, douée d’une force prodigieuse. Ces guerriers avaient chacun cent bras qui s’élançaient de leurs épaules, et cinquante