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imaginé dans ces temps où la multiplication des poésies de tout genre exigeait qu’on distinguât chacune par une dénomination particulière. Le témoignage de Pausanias démontre que le poëme d’Hésiode était connu très-anciennement chez les Grecs sous le nom de Mégalai Êoiai.

Il y a donc lieu de penser que le commencement du Bouclier d’Hercule n’est qu’un lambeau de ce grand ouvrage qu’Hésiode avait consacré à la gloire des femmes de l’antiquité, mais qu’un autre poëte a composé la description du Bouclier et du Combat. Ces deux fragmens, réunis, reçurent le titre de celui qui avait le plus d’étendue et d’importance ; on les appela le Bouclier d’Hercule. Si ce poëme a été attribué à Hésiode, c’est que son nom, ainsi que celui d’Homère, est comme le centre autour duquel a gravité toute la poésie de son siècle et même celle des âges postérieurs. Mais le caractère spécial de la muse d’Hésiode est moins le genre de l’épopée que les genres didactique et mythique ; elle aime plutôt à dicter des préceptes de morale, à décrire les généalogies humaines et divines qu’à chanter le courage et les exploits des héros. Tout le Bouclier d’Hercule, à l’exception du début, n’est donc vraisemblablement qu’un de ces pastiches homériques que les rhapsodes se plaisaient à composer. Si Apollodore, Athénée, Apollonius de Rhodes, Stésichore et l’Athénien Mégaclès l’attribuent à Hésiode, Aristophane le grammairien, Joseph Scaliger, Heinsius, Vossius, Dorville et d’autres célèbres critiques lui en refusent la gloire.

Le fond du sujet et les détails de la narration portent l’empreinte du génie primitif qui chanta le combat d’Achille et d’Hector. Ici les dieux, à l’exemple des dieux homériques, partagent les formes, les passions et les souffrances humaines, viennent secourir les mortels et sont blessés par leur lance ou par leur glaive.

Ce lambeau d’épopée est rempli sans doute de brillantes images, de traits vigoureux, de nobles pensées ; mais plusieurs vers sont textuellement empruntés de l’Iliade, et l’on reconnaît dans la couleur générale du style un caractère évident d’imitation. La poésie en est souvent abondante et large comme dans Homère ; elle n’est plus serrée et pleine comme dans Hésiode.

Quant au Bouclier d’Hercule, proprement dit, sa description est faite dans le style homérique ; mais il présente dans la nature des idées et dans le choix des figures quelques dissemblances avec le Bouclier d’Achille. Celui-ci n’offre point d’allusion à la généalogie ni aux exploits du fils de Pélée ; ses tableaux sont empreints du caractère de la généralité. Celui-là, au contraire, semble convenir à Hercule plus spécialement qu’à aucun autre héros. Homère se complaît davantage à décrire les travaux de la campagne, comme pour reposer sa muse guerrière sur de douces et riantes peintures : l’auteur du Bouclier d’Hercule retrace plus longuement les horreurs des combats, sans doute parce que ce tableau formait alors un contraste naturel avec les occupations champêtres de son siècle. On voit que le dernier chantre s’efforce toujours d’amplifier et d’embellir les images dont le premier lui a fourni le modèle. Le Bouclier d’Achille ne contient que huit sujets principaux ; le Bouclier d’Hercule en renferme un bien plus grand nombre.

Si le Bouclier d’Hercule nous offre un précieux objet d’étude, parce qu’il remonte jusqu’à un temps où la poésie était encore populaire, les Fragmens conservés sous le nom d’Hésiode n’ont pas moins d’intérêt aux yeux du savant. Là un passage sur Linus, dont on chantait la gloire au milieu des festins et des chœurs de danse ; ici un vers sur Danaüs, qui procura de l’eau à la ville d’Argos, rappellent les premiers essais des Muses, les premiers bienfaits de la civilisation. Tous ces débris, dispersés dans les ouvrages des auteurs, des grammairiens et des scholiastes grecs, malgré leur sens incomplet, se rattachent à un vaste ensemble de poésie, car le nom d’Hésiode a été peut-être le nom générique de tous les chantres d’une même époque. Si quelques critiques ont faussement attribué à Hésiode des fragmens qui ne lui appartiennent pas, beaucoup d’autres, sans citer de lui aucun vers, font allusion aux traditions d’histoire ou de mythologie consignées dans ses ouvrages. Or, la pensée se refuse à croire qu’il ait pu composer seul tant de poëmes. Plusieurs des fragmens qui nous sont parvenus ne présentent donc guère plus d’authenticité que certains passages de la Théogonie, des Travaux et des Jours et du Bouclier d’Hercule. Mais nous avons dû les recueillir religieusement comme les versets d’une légende sacrée dont l’ensemble a péri dans le souvenir des hommes. L’ami des arts, lorsqu’il n’a pas le bonheur de découvrir une statue tout entière, ne rejette point pour cela les tronçons épars qu’il rencontre en fouillant le sol fécond de l’antiquité.

Pausanias rapporte (Béotie, c. 31) qu’on attribuait encore à Hésiode un poëme sur le devin Mélampe, la Descente de Thésée et de Pirithoüs aux Enfers, les Préceptes de Chiron pour l’éducation d’Achille, et qu’ayant appris des Acarnaniens l’art de la divination, il passait pour avoir composé des Prédictions en vers et un livre d’Explication des Prodiges. Hésiode fut l’auteur, d’après Suidas, du Catalogue des Femmes en cinq livres, de l’éloge funèbre de son ami Batrachus et d’un poëme sur les Dactyles Idéens ; suivant Zosime (liv. V, c. 28), des Théogonies héroïques ; selon Tzetzès (Prolégomènes sur Lycophron), de l’Épithalame de Thétis et de Pélée, et comme le dit le scholiaste d’Aratus (v. 255), de la Grande astronomie ou du Livre des astres. Strabon (liv. VII, p. 302) cite de lui le Tour de la Terre ; Maxime de Tyr (Dissertat. 16), les Discours divins ; Athénée