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sonnification de la lutte des élémens. En effet, la première période de la poésie grecque est toute mythique : elle présente, non les simples jeux de l’imagination, mais le caractère solennel et grave du symbolisme. C’est sur la base des généalogies que repose l’édifice de la mythologie païenne. Les objets extérieurs et leurs principes furent personnifiés de telle sorte que l’on regardait comme engendrée d’une autre chose celle qui renfermait en elle-même le germe de son existence. Ce premier genre de génération comprit les cosmogonies et les théogonies établies par les physiciens sur le combat des élémens, sur l’organisation du ciel et de la terre, sur la puissance des forces productives et destructives de la nature. Le second embrassa dans la suite les héros fondateurs d’un peuple et d’une ville ou célèbres par leurs exploits et par leurs bienfaits envers l’humanité : on fit remonter leur origine jusqu’à l’antiquité la plus haute, soit qu’on suivît la route des vieilles traditions, soit qu’on appliquât l’ancien langage au récit des fables et qu’on se servît pour de nouveaux mythes de ces mêmes dieux inventés dans les époques cosmogoniques, où l’esprit, fortement frappé des objets exposés à la vue, cherchait à produire au dehors, comme des faits, ses impressions et ses pensées. Ainsi donc les premiers poëtes de la Grèce convertirent le vieux langage des symboles en récits mythiques qui devinrent le développement détaillé d’un sens abstrait et profond. Hésiode nous présente de nombreuses imitations des dogmes de ces poëtes. Comme il ne vint que longtemps après eux, il mêla aux symboles changés en mythes les mythes changés en histoires. Toutefois au milieu de ce mélange on reconnaît encore le type primitif. Mais ces allégories dont s’enveloppe sa muse, il n’en pénétrait pas probablement le sens occulte ; il les rapportait comme des traditions populaires, sans se douter qu’elles se rattachaient en partie à cette première religion révélée à l’homme dans le berceau de l’univers. On remarque plusieurs similitudes entre ses poésies et les saintes Écritures. Hésiode est généalogiste à la manière de Moïse, et la Théogonie est, à quelques égards, la Genèse du paganisme. Mais comme les points de contact des religions grecque et hébraïque n’ont pas été directs, il est difficile de les déterminer d’une manière précise, parce que ces emprunts se sont antérieurement combinés, modifiés ou altérés avec les divers cultes de l’Égypte, de la Phénicie et des autres contrées. Toutefois le début des cosmogonies hébraïque, phénicienne et grecque offre des traits de ressemblance qu’on ne saurait méconnaître.

Moïse dit, au commencement de la Genèse :

« La terre était informe et nue ; les ténèbres couvraient la face de l’abîme et le souffle de Dieu planait sur les eaux. »

Sanchoniathon admet pour principe du monde le souffle d’un air ténébreux, un chaos confus et le désir qui excite tous les êtres à leur reproduction.

Hésiode nous montre, avant tout, le Chaos, puis la Terre, ensuite le Tartare, enfin l’Amour, lien harmonique de tous les élémens, source de toute création.

L’empreinte originelle et identique des deux idées, d’abord de la confusion des élémens, puis de leur coordination, ne se manifeste-t-elle pas dans ces trois fragmens ? Plusieurs orientalistes ont établi d’autres rapports entre les récits de Moïse, de Sanchoniathon et d’Hésiode. Ainsi ils ont considéré Abraham, auteur de la circoncision, comme le type du Cronos des Phéniciens et de celui des Grecs, qui privent Uranus leur père de ses parties génitales. Les détails avec lesquels Sanchoniathon raconte la mutilation d’Uranus par Cronos sont évidemment la source où Hésiode a puisé toute sa narration. L’origine de ces mythes bizarres provient des idées symboliques qu’on attachait au lingam et au phallus dans l’Inde et dans l’Égypte.

D’après Fourmont (Réflexions sur l’origine, l’histoire et la succession des anciens peuples, liv. 2, c. 5), le livre d’Hénok, l’historien de la Phénicie et le poëte d’Ascra s’accordent à peu près pour les trois races que rapportent les traditions des âges primitifs.

Nous pourrions signaler d’autres traits de similitude plus éloignés et plus confus ; mais nous aimons mieux nous borner à constater quelques rapports plus frappans entre la religion phénicienne et la Théogonie d’Hésiode. Dans le fragment de Sanchoniathon[1] que nous a conservé Eusèbe, ne découvrons-nous pas une identité remarquable entre l’invention du feu par Phos, Pyr et Phlox et la découverte de cet élément par Prométhée, entre ces hommes doués d’une force et d’une taille prodigieuse qui donnèrent leurs noms aux montagnes dont ils s’emparèrent et les trois géans Cottus, Briarée et Gygès, entre ces Bétyles, ou pierres animées, qu’inventa Uranus et la pierre emmaillotée que la Terre fit avaler à Saturne ? Dans les deux Théogonies, Uranus et Gué, quoique frère et sœur, ne s’épousent-ils pas et n’ont-ils pas Cronos pour fils ? L’Hermès, la Vénus et le Vulcain de la Grèce ne rappellent-ils pas le Taaut, l’Astarté et le Sydic de la Phénicie ? La famille de Nérée et de Doris, la race de Phorcys et de Céto ne portent-elles pas l’empreinte d’une origine phénicienne ? Les noms de Pontus, de Nérée, de Poséidon, de Notus et de Borée ne se rencontrent-ils pas également chez Sanchoniathon et chez Hésiode ? Enfin la conformité de plusieurs autres noms, les divers points d’analogie de l’un et l’autre idiome, la fréquence des relations que des liens de commerce ou de mariage avaient redoublées entre les deux peuples, tout ne prouve-t-il pas que l’empreinte de ces dogmes phéniciens, importés par les premières colonies, est plus manifeste dans les poèmes d’Hésiode que dans ceux de tous ses devanciers ?

Si nous cherchons maintenant les traces de la re-

  1. Voyez la première note d’Hésiode à la fin du volume.