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femmes mortelles ; mais ma bouche n’osera plus se glorifier en leur présence, parce que j’ai commis une grande faute, une faute irréparable ; mon âme est tombée dans l’erreur : je porte un fils dans mon sein pour avoir reposé dans les bras d’un homme. Dès que cet enfant verra la lumière, il sera élevé par les nymphes agrestes aux larges tuniques, elles qui habitent cette haute et divine montagne et ne suivent ni les dieux ni les hommes ; cependant elles jouissent d’une longue vie, elles se nourrissent d’ambroisie et forment de belles danses avec les dieux. Les silènes et le clairvoyant Mercure s’unissent d’amour avec elles dans les grottes profondes. Quand elles viennent au monde, la terre féconde produit aussitôt les pins et les chênes à la haute chevelure, arbres verdoyans : ils s’élèvent dans leur magnifique vigueur sur les montagnes escarpées où ils forment le bois sacré des immortels, et les hommes ne les frappent jamais de la cognée. Lorsque vient pour eux la destinée de la mort, ces beaux arbres se dessèchent, leur écorce se pourrit autour du tronc et leurs branches tombent ; alors la vie les quitte, ils ne jouissent plus de la clarté du soleil. Telles sont les nymphes qui élèveront mon fils. Quand il atteindra l’âge heureux de l’adolescence, ces divinités t’amèneront l’enfant pour te le montrer. Cette jeune fleur pénétrera ton âme d’une vive allégresse (il ressemblera aux dieux), et tu conduiras cet enfant bien-aimé dans la superbe ville d’Ilion. Là, si quelqu’un t’interroge et te demande quelle mère le porta dans son sein, souviens-toi de répondre comme je vais te l’ordonner :

« On dit qu’il est né d’une de ces belles nymphes qui habitent la campagne ombragée de forêts. »

» Si dans un moment d’imprudence tu leur disais que tu t’es uni d’amour à la belle Cythérée, Jupiter, furieux, t’écraserait de sa foudre brûlante. Tels sont mes ordres : garde-les dans ton âme, ne me nomme jamais et crains la vengeance des dieux immortels. »

À ces mots elle revole à l’instant dans les cieux élevés.

Salut, ô déesse qui régnez sur la charmante contrée de Cypre : je vous ai célébrée d’abord et maintenant je vais dire un autre hymne.

HYMNE IV.

A Cérès.

Je chanterai d’abord Cérès à la belle chevelure, déesse vénérable, et sa fille légère à la course, jadis enlevée par Pluton. Jupiter, roi de la foudre, la lui accorda lorsque, loin de sa mère au glaive d’or, déesse des jaunes moissons, jouant avec les jeunes filles de l’Océan vêtues de flottantes tuniques, elle cherchait des fleurs dans une molle prairie et cueillait la rose, le safran, les douces violettes, l’iris, l’hyacinthe et le narcisse. Par les conseils de Jupiter, pour séduire cette aimable vierge, la terre, favorable à l’avare Pluton, fit naître le narcisse, cette plante charmante qu’admirent également les hommes et les immortels : de sa racine s’élèvent cent fleurs ; le vaste ciel, la terre féconde et les flots de la mer sourient à ses doux parfums. La déesse enchantée arrache de ses deux mains ce précieux ornement ; aussitôt la terre s’entr’ouvre dans le champ crysien, et le fils de Saturne, le roi Pluton, s’élance porté par ses chevaux immortels. Le dieu saisit la jeune vierge malgré ses gémissemens et l’enlève dans un char étincelant d’or. Cependant elle pousse de grands cris en implorant son père, Jupiter, le premier et le plus puissant des dieux : aucun immortel, aucun homme, aucune de ses compagnes n’entendit sa voix. Mais la fille prudente de Perséus, Hécate au long voile, l’entendit du fond de son antre, et le Soleil, fils brillant d’Hypérion, entendit aussi la jeune fille implorant son père Jupiter : en cet instant, le Soleil, éloigné de tous les dieux, recevait dans son temple les sacrifices somptueux des faibles mortels.

Ainsi, du consentement de Jupiter, Pluton, qui dompte tout, fils renommé de Saturne, porté par ses immortels coursiers, entraînait cette jeune fille malgré sa résistance et quoiqu’il fût son oncle paternel. Tant qu’elle aperçut encore la terre, le ciel étoilé, la vaste mer et quelques rayons du soleil, elle espéra que sa mère vénérable ou quelqu’un des dieux immortels pourrait l’entrevoir. Cette espérance inspirait du calme à sa grande âme, quoique accablée de tristesse. Les montagnes jusques à leur sommet, la mer jusque dans ses profondeurs, retentissaient des éclats de sa voix divine. Son auguste mère l’entendit. Une vive douleur descend aussitôt dans son âme, de ses deux mains elle déchire les bandelettes autour de ses cheveux divins ; elle revêt