Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frappe en cadence avec l’archet ; l’instrument résonne en mélodieux accords, et le dieu marie les accens de sa voix aux sons de la lyre.

Ayant conduit les génisses dans la belle prairie, ces dieux, beaux enfans de Jupiter, remontent ensemble sur le sommet neigeux de l’Olympe : ils se réjouissent au son de la lyre, et Jupiter joyeux resserre les liens de cette intimité. Depuis ce jour, et maintenant encore, Mercure a toujours aimé le fils de Latone, auquel il avait donné sa lyre. Apollon jouait en la tenant sous le bras, mais lui-même inventa un art nouveau : il fit retentir au loin la voix des flûtes mélodieuses. En ce moment le fils de Latone dit ces mots à Mercure :

« Fils rusé de Maïa, j’ai peur que tu ne me dérobes maintenant mon arc et ma lyre. Tu reçus de Jupiter le soin de veiller au commerce, aux échanges trompeurs des hommes qui vivent sur la terre féconde ; si tu consentais à faire le grand serment des dieux en jurant par les ondes redoutées du Styx, tu satisferais le vœu de mon âme. »

Le fils rusé de Maïa promet par un signe de tête de ne rien dérober de ce que possède Apollon, de ne jamais approcher de sa demeure magnifique. A son tour Apollon d’un signe de tête lui jure amitié durable, lui jure de le chérir plus qu’aucun des dieux ou des hommes issus du grand Jupiter :

« Enfin, ajouta-t-il, pour que mes paroles t’inspirent respect et confiance, je déposerai le gage solennel des dieux : je te donnerai ce bâton magnifique, source de richesses et de bonheur, entouré de trois feuilles d’un or pur : il sera pour toi d’un secours tutélaire et te permettra de servir tous les dieux. Mais si entre toutes les paroles et les choses privilégiées que j’ai apprises de Jupiter, tu me demandais, dieu puissant, l’art de prédire l’avenir, je ne pourrais t’en instruire ni aucun des autres immortels : c’est la pensée que Jupiter s’est réservée. Quand il me l’a confiée, j’ai promis sur ma tête, j’ai fait le grand serment, que nul des immortels, nul autre que moi ne connaîtrait les desseins secrets du fils de Saturne. Ainsi, frère au sceptre d’or, ne me demande pas de te révéler les destins que médite le puissant Jupiter. Quant aux hommes, je parcourrai leurs nombreuses tribus : aux uns je serai favorable, aux autres je serai funeste. Ma voix prophétique aidera celui qui viendra à moi se guidant sur le chant et sur le vol des oiseaux destinés à prédire l’avenir ; mais je nuirai à celui qui, se fiant à des oiseaux trompeurs, voudra malgré moi connaître l’avenir pour en savoir plus que les Dieux immortels. J’accepterai ses dons, mais je rendrai son voyage inutile. »

» Je te dirai encore, fils du grand Jupiter et de l’illustre Maïa, Mercure, divinité utile aux dieux mêmes : il existe trois sœurs vénérables, vierges toutes les trois et franchissant l’espace sur des ailes rapides ; leur tête est couverte d’une blanche farine, elles habitent un vallon du Parnasse. Éloignées des hommes, elles m’enseignèrent l’art de révéler l’avenir pendant que j’étais enfant et que je gardais les troupeaux. Mon père ne prenait aucun soin de m’instruire de toutes ces choses. Elles voltigent de toutes parts, elles se nourrissent de miel et accomplissent toutes choses. Lorsqu’elles sont rassasiées de miel nouveau, ces vierges disent volontiers la vérité ; mais quand ce doux aliment des dieux vient à leur manquer, elles s’efforcent de détourner les hommes de la route qu’ils doivent suivre. Je les place sous ton empire ; interroge-les avec attention, et ton esprit sera comblé de joie ; et si tu favorises quelque mortel, quand il viendra vers toi, tu lui feras entendre ta voix prophétique. Jouis de tous ces biens, fils de Maïa ; possède aussi des bœufs aux pieds robustes, des coursiers et des mules bien membrées. Illustre Mercure, je veux que tu règnes sur les lions terribles, sur les sangliers aux dents acérées, sur les chiens, sur les brebis et sur tous les animaux que nourrit la terre féconde. Tu seras seul employé comme messager fidèle dans le royaume de Pluton, et, quoique avare, ce dieu ne te donnera pas une vulgaire récompense. »

Dès lors Apollon fut toujours uni au fils de Maïa par la plus grande amitié. Jupiter récompensa cette intimité par de nombreuses faveurs. C’est ainsi que Mercure se mêle à la société des dieux et des hommes : il est rarement bienveillant ; le plus souvent il trompe les mortels durant l’obscurité de la nuit.

Salut, fils de Jupiter et de Maïa ; je me souviendrai de vous, et je vais moduler de nouveaux chants.