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Apollon, qui lance au loin ses traits, lui répondit :

« Mon père, j’ai des choses importantes à vous dire quoique vous me railliez toujours comme trop avide de butin. J’ai trouvé cet enfant, voleur déjà redoutable, dans les montagnes de Cyllène : j’ai parcouru beaucoup de pays avant de le joindre, car c’est un enfant plein de ruse et de perfidie comme je n’en vis jamais ni parmi les dieux ni parmi les mortels, quels que soient les brigands qui dévastent la terre. A la faveur des ombres du soir, il a éloigné mes génisses des prairies, il leur a fait traverser les rivages de la mer et les a conduites à Pylos. Il a laissé des traces merveilleuses qu’on peut admirer comme l’œuvre d’un dieu puissant : les empreintes de leurs pieds marqués encore sur la noire poussière indiquent un chemin opposé à celui qui mène aux pâturages. Quant à lui, habile, rusé, il n’a marché sur le sol sablonneux ni avec les mains ni avec les pieds, c’est à l’aide d’une pensée astucieuse qu’il a parcouru ce sentier merveilleux comme avec des branchages de chêne. Les traces de génisses ont marqué sur la poussière tant qu’il a suivi le sol sablonneux, mais dès qu’il est arrivé sur un terrain solide on n’apercevait plus les pas des génisses ; toutefois il a été vu par un homme au moment où il conduisait à Pylos ce troupeau de génisses au large front : les ayant enfermées sans bruit, et ayant mêlé ensemble toutes les races, il s’est couché dans son berceau, et pareil à la nuit profonde, il s’est blotti dans les ténèbres d’une grotte obscure ; l’œil perçant de l’aigle lui-même n’aurait pu le découvrir. Fidèle à ses ruses, il s’est caché les deux yeux avec ses mains, puis d’un ton assuré il m’a dit ces paroles : « Je n’ai point vu tes génisses, je ne les ai pas connues, je n’en ai même jamais entendu parler, je ne puis donc te les indiquer ni recevoir la récompense promise à celui qui te les rendra. »

Ainsi parla le brillant Apollon et il s’assied. A son tour, Mercure, s’adressant à Jupiter, maître de tous les dieux, répond par ces paroles :

« Puissant Jupiter, je veux vous dire la vérité, mon cœur est sincère, je ne sais pas mentir. Aujourd’hui même, au lever du soleil, Apollon est venu dans notre demeure en cherchant ses génisses aux pieds robustes. Il n’amenait pour témoin aucun dieu ; il ne m’offrait aucun indice, et cependant il m’ordonnait avec violence de dire où se trouvaient les génisses ; il m’a menacé de me précipiter dans le vaste Tartare ; il abusait de sa force, lui, à la fleur de l’âge, tandis qu’il sait fort bien que moi, né d’hier, je ne ressemble pas à l’homme vigoureux qui dérobe des troupeaux. Croyez, ô vous qui vous glorifiez d’être mon père chéri, croyez que je n’ai point conduit de troupeaux dans ma demeure ; je serais trop heureux ! Je n’ai pas même passé le seuil de ma grotte : je le dis avec sincérité. Certes j’ai du respect pour Apollon et pour tous les autres dieux ; je vous chéris et j’honore Apollon, vous le savez bien et lui-même le sait ; je ne suis point coupable, je le jurerai par un grand serment : j’en atteste le palais sacré des immortels. Il a beau être plein de force, un jour je me vengerai de sa poursuite. Vous cependant secourez les faibles. »

Le dieu de Cyllène clignotait du regard en disant ces paroles et gardait sur l’épaule ses langes qu’il n’avait point encore rejetés. Jupiter souriait en voyant l’adresse de son fils, qui niait avec tant d’assurance le vol des génisses : il ordonne alors aux deux divinités de s’accorder et de chercher ensemble les troupeaux d’Apollon ; il enjoint ensuite à Mercure de servir de guide au divin Apollon et de lui montrer sans aucune ruse où sont enfermées les fortes génisses. Le fils de Saturne fait un signe de tête, et le beau Mercure s’empresse d’obéir, car il se rendait sans peine à la pensée du dieu de l’égide.

Les deux enfans de Jupiter se hâtent donc ; ils parviennent bientôt à la sablonneuse Pylos, sur les rives de l’Alphée, traversent les champs et pénètrent dans la haute étable où les troupeaux avaient été nourris pendant la nuit. Mercure entre dans le ténébreux rocher et rend à la lumière les fortes génisses ; le fils de Latone regardant de côté vit étendues sur le roc les peaux des génisses offertes en sacrifices, et frappé d’élonnement, il dit à Mercure :

« Enfant rusé, si jeune et si faible, comment as-tu pu écorcher ces deux génisses ? Ah ! ta force terrible m’effraie pour l’avenir. Qu’elle n’augmente pas davantage, dieu puissant de Cyllène, fils de Maïa ! »

A ces mots Apollon tord de ses deux mains les forts liens d’osier qui retiennent les génisses, mais elles restent immobiles, les pieds attachés à la terre, en face les unes des autres par les