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pourront te rendre à la lumière, mais tu vivras enfoui sous la terre, ne régnant que sur un petit nombre d’hommes. »

Mercure lui répond aussitôt par ces paroles pleines de ruse :

« Fils de Latone, pourquoi me tiens-tu ce terrible langage ? Pourquoi viens-tu chercher ici tes génisses ? je ne les ai jamais vues, je n’en ai jamais entendu parler ; il ne m’est pas possible de t’indiquer le voleur : je ne recevrai donc pas la récompense promise à qui te fera trouver le voleur. Je n’ai pas la force d’un homme capable de dérober des troupeaux ; ce n’est point là mon métier, d’autres soins me réclament : j’ai besoin du doux sommeil, du lait de ma mère, de ces langes qui couvrent mes épaules et des bains d’une onde tiède. Mais fais en sorte qu’on ignore d’où vient cette querelle : ce serait un grand sujet d’étonnement pour tous les immortels qu’un jeune enfant qui vient à peine de naître eût franchi le seuil de la demeure avec des génisses indomptées. Ce que tu dis est d’un insensé : je suis né d’hier, les cailloux auraient déchiré la peau délicate de mes pieds ; mais si tu l’exiges, je prononcerai un serment terrible : je jurerai par la tête de mon père que je ne suis pas l’auteur de ce vol et que je ne connais point le voleur de ces génisses quelles qu’elles soient : tu as été le premier à m’en apprendre la nouvelle. »

En prononçant ces mots, ses yeux brillent d’un vif éclat, il soulève ses sourcils, jette impudemment ses regards de tous côtés et laisse échapper un sifflement ironique comme n’ayant entendu qu’une vaine parole. Alors Apollon lui dit avec un sourire plein de raillerie :

« Jeune enfant trompeur et rusé, à entendre tes discours, je crois que tu pénétreras souvent dans les riches demeures et que pendant la nuit tu mettras plus d’un homme à la porte de sa maison après l’avoir dévalisé sans bruit. Tu rempliras aussi de chagrin le cœur des bouviers dans les vallons agrestes de la montagne, lorsque cherchant une proie tu rencontreras des troupeaux de bœufs et de brebis. Mais assez de sommeil comme cela, descends de ton berceau, mon beau compagnon de la nuit sombre : il est juste que tu jouisses des honneurs divins destinés aux immortels, toi qui seras un jour salué du titre de chef de voleurs. »

Et en même temps Phébus saisit l’enfant et l’emporte. Alors, après une perfide réflexion, le puissant meurtrier d’Argus, enlevé par les bras d’Apollon, lâche un augure, serviteur audacieux parti du ventre et messager impertinent, puis il éternue avec force. À ce bruit, Apollon le jette à terre, et, quoique impatient de partir, il s’assied en présence de Mercure et lui dit ces mots railleurs dans l’intention de le piquer :

« Courage, fils de Jupiter et de Maïa, encore enveloppé dans les langes. Grâce à tes augures, je retrouverai bientôt mes génisses aux têtes robustes, toi-même me serviras de guide. »

Il dit. Le dieu de Cyllène se relève aussitôt en marchant avec vitesse ; il environne ses oreilles des langes qui couvraient ses épaules et s’écrie :

« Où veux-tu donc m’emporter, Apollon, le plus cruel de tous les dieux ? Pourquoi, furieux d’avoir perdu tes génisses, m’accabler ainsi d’outrages ? Puisse leur race être anéantie ! Ce n’est pas moi qui les ai dérobées, te dis-je, et je ne connais pas le voleur de tes génisses quelles qu’elles soient ; tu es le premier à m’en apprendre la nouvelle : rends-moi donc justice et soumettons-nous à faire juger nos différends par Jupiter. »

C’est ainsi que conversaient ensemble le solitaire Mercure et le fils brillant de Latone, mais animés de sentimens contraires : l’un, parlant dans la sincérité de son cœur, avait saisi l’illustre Mercure comme voleur de ses génisses, et le roi de Cyllène, par ses ruses, ses paroles pleines de fourberie, cherche à tromper le dieu qui porte l’arc d’argent. Mais, quelque habile que fût sa ruse, Mercure avait trouvé un rival qui pouvait être son maître. Le fils de Jupiter et de Latone le faisait marcher le premier sur le sable et le suivait ensuite par derrière. Ces enfans de Jupiter parviennent ainsi sur le sommet de l’Olympe parfumé ; là se trouvaient les balances de la justice qui leur étaient destinées. Les cieux retentissent d’une douce harmonie, et les immortels se rassemblent dans les retraites de l’Olympe. Devant Jupiter se tenaient Apollon et Mercure. Alors le dieu qui lance la foudre s’adresse en ces termes à son fils :

« D’où viens-tu avec cette superbe proie, nous amenant cet enfant nouveau-né qu’on prendrait pour un hérault ? sans doute tu viens devant le conseil des dieux pour une affaire importante ? »