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nouvelles et romans en prose

t-on les morts ? dans ces mêmes édifices dont l’air est déjà corrompu par l’entassement des vivants[1].

Il n’est pas une coutume, depuis les modes jusqu’à la législation, qui ne soit un défi à la raison, au bon sens, à la prudence, aux nécessités mêmes de la nature. L’homme s’ingénie à vivre de manière à se tuer. Sa vie est une combinaison de gageures contre lui-même. Le suicide, lent ou rapide, violent ou savamment concerté, semble être la loi que l’homme s’est faite et l’incessante préoccupation de sa pensée. Voltaire a représenté l’homme, pour me servir du mot de Taine, comme étant toujours « le gorille féroce et lubrique » qu’on prétend qu’il était aux temps primitifs.

Et tel est le tableau de l’humanité dans les romans de Voltaire. Personne n’est plus misanthrope que lui.

Seulement, c’est un misanthrope qui se réprime lui-même jusqu’à un certain point. Ces sottises, ces folies, il ne laisse pas quelquefois de les pallier, de les expliquer, de les excuser. Il ne laisse pas de leur opposer quelques exemples de sagesse et de bon cœur. Ses héros, ses personnages principaux, Zadig, Candide, l’Ingénu, Martin, Cocambo, Pangloss lui-même, sont de très braves gens. Or ils appartiennent à l’humanité ; elle n’est donc pas entièrement mauvaise.

Il cite ou imagine des actes de vertu. Il a connu « un juge qui, ayant fait perdre un procès considérable à un citoyen par une méprise dont il n’était pas responsable, lui avait donné tout son bien ; » et il l’a connu en effet : c’est Chamillard. Il nous montre un nouveau ministre capable de dire au roi du bien du ministre son prédécesseur ; et cette fois c’est de l’ima-

  1. Zadig.