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la récompense. Seulement l’injuste ne jouit pas du tout ; il est très malheureux. Il souffre en raison directe de l’intensité de son désir de jouir et de l’impossibilité où il est à jamais de satisfaire son désir.

Ce qui trompe l’honnête homme qui voit l’injuste jouissant de ce qu’on appelle le bonheur ici-bas, c’est qu’il se met à sa place, tel qu’il est, lui, et qu’il se dit : « Que je serais heureux si j’étais dans la situation de cet homme-là ! » Et cela est très vrai que l’honnête homme serait heureux, s’il était, restant honnête homme, dans la situation où est l’injuste triomphant ; mais ce n’est pas une raison pour croire que l’injuste soit heureux dans cette même situation. Le bonheur n’est pas dans les choses, il est dans la façon dont on se les procure et dont on les possède. Pour qui se les procure et les possède d’une façon mauvaise, elles sont mauvaises. Il les empoisonne avant de les boire et il se plaint qu’elles soient empoisonnées.

Il ne faut donc pas envier le bonheur de l’injuste, ni surtout en tirer un grief contre les dieux, parce que ce bonheur tout simplement n’existe pas. Quand nous recommandons à tous ces jeunes gens, élèves des sophistes, de n’aspirer au pouvoir qu’accompagnés de la justice et pour la réaliser, pour la faire régner ici-bas, ils croient que nous parlons en