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d’user, mais n’aime pas beaucoup qu’on abuse. Je faisais remarquer au commencement de ce volume que, dans ses mœurs, le Français est très ennemi de la liberté individuelle. Ce n’est point précisément parce qu’il est égalitaire, c’est tout simplement parce qu’il est sociable. La sociabilité exige l’uniformité des mœurs et habitudes, et par conséquent ne permet pas une façon de vivre indépendante. Cependant, même au point de vue politique, un peuple égalitaire a quelque éloignement pour la liberté individuelle. Rappelez-vous Rousseau et son rêve éternel de repas en commun, divertissements en commun, promenades en commun, etc. Voyez la trace qu’a laissée cette idée dans les plans de vie nationale des révolutionnaires disciples de Rousseau (Robespierre, Saint-Just) et chez les Fouriéristes et Saint-Simoniens. Cette idée de défiance à l’égard de celui qui vit à sa guise et non à la guise de tout le monde, cette idée de Væ soli, elle vient bien un peu, et plus qu’un peu, de ce sentiment que qui s’isole se distingue et peut-être veut se distinguer. Certes, il n’est pas dangereux, puisqu’il ne s’associe pas ; il n’y a que les associations qui font courir un danger à l’égalité ; il n’est pas un aristocrate, puisqu’il n’est pas le noyau d’une ligue, d’une église, d’une agglomération, ni même d’un groupe quelconque ; mais il est un ariste, ou prétend l’être ; il est quelqu’un qui est à part, ce qui, sans rompre l’égalité, y met en quel-