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gens qu’il juge. Dès lors, de tous les côtés, il est libre comme l’air. Les juges élus par ceux qu’ils auraient à juger et rééligibles par eux ne le seraient pas tant que cela.

Mais pourquoi cela va-t-il bien en Amérique ?

D’abord en Amérique cela ne va pas admirablement. On s’y plaint beaucoup des juges élus. On s’y défie assez fort de leur justice. Cela n’a guère qu’un bon résultat, relativement bon ; c’est que l’on y évite les procès. Ensuite ce qui fait que le système des juges élus en Amérique n’est pas désastreux, c’est l’instabilité des carrières. L’instabilité des carrières est ici un admirable correctif. Ce juge qui a été élu juge par ses concitoyens, croyez-vous qu’il tienne à rester juge ? Point du tout. Il est juge aujourd’hui. Dans trois ans il vendra du porc salé. Dès lors, il ne tient pas du tout à être réélu : « Point réélu ? Je m’en moque. Je vendrai des salaisons. » Du moment qu’il se moque d’être réélu, il est indépendant de ses justiciables, et il peut être un très bon juge, et souvent il l’est.

Mais en France le juge élu voudra rester juge et par conséquent être réélu. Dès lors vous savez les conséquences. Ou bien, selon les idées de Jean-Jacques Rousseau en cette matière, il ne considérera sa judicature que comme un premier échelon et un premier degré vers de plus grands honneurs : « J’ai réussi aux élections pour la préture, je puis réussir aux élections pour le consulat. » Il songera