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— Mais vous avez dit aux citoyens : « Armez-vous ! »

— Non ! Nous avons dit : « Ils vont s’armer. » Nous signalions le danger au gouvernement.

— Pardon ! C’est bien : « Armez-vous ! » que vous avez dit. »

Voilà où l’on en viendrait ; à se demander si un journaliste a écrit : « Ils vont s’armer » ou s’il a écrit : « Armez-vous ! » et s’il a écrit : « Armez-vous ! » il est fusillé, et s’il a écrit : « Ils vont s’armer », il est acquitté ; et il lui aura suffi d’écrire : « Ils vont s’armer » pour éviter les coups de fusil, et il aura suffi à son confrère d’écrire : « Armez-vous ! » pour être exécuté en plaine de Grenelle ; et tous deux auront accusé le gouvernement et parlé d’insurrection et provoqué l’insurrection autant l’un que l’autre. C’est redoutablement subtil.

Je n’invente rien. Après l’attentat de Louvel en 1820, un ministre dit en plein parlement : « Ce n’est pas un couteau qui a troué la poitrine du duc de Berry ; c’est une idée libérale. » Notez qu’il avait raison. Supprimez l’existence et la manifestation des idées libérales le duc de Berry pourrait, à la rigueur, vivre encore. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a une telle distance entre détester la politique des Bourbons et donner un coup de couteau au duc de Berry qu’il n’y a plus de commune mesure et qu’il n’y a pas de moyen pratique d’établir et de saisir la connexité. Elle existe moralement, ce n’est