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DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

dains retours, en se mêlant, se quittant et courant les uns après les autres. Il y a là un peu de vérité d’accent ; car Diderot était l’homme des digressions, des échappées, et des parenthèses plus longues que les phrases ; mais il y a un peu de procédé aussi et d’attitude ; et surtout il y a plus de verve de conteur que d’imagination de créateur, ou, pour parler simplement, de romancier.

Notez aussi que ce manque de composition dont nous voyions tout à l’heure qu’il réussit à peu près à faire une grâce, n’en révèle pas moins une singulière pauvreté de fond. Où la composition est absente, mais je dis absolument, tenez pour certain que c’est l’invention même qui manque. On ne compose point, parce qu’on n’a point trouvé ou une forte idée à vous soutenir, ou un personnage vrai, profond et puissant, qui vous obsède. Gil Blas est composé, quoi qu’on puisse dire. Le personnage de Gil Blas lui fait un centre et lui donne son unité. Candide est composé. Il gravite autour d’une idée dont on sent toujours la présence, et qui de temps à autre, fréquemment, ramène à elle le regard, haut sur l’horizon. Ni Jacques, ni la Religieuse, ni les Bijoux ne sont composés, parce que Diderot, demi-artiste, demi-penseur, artiste par saillies, penseur par belles rencontres, n’est ni grand penseur, ni grand artiste, et ne sait rassembler son œuvre, souvent si brillante, ni autour d’un caractère vigoureux, complet et vraiment vivant, ni autour d’une idée importante et considérable.

Je ne vois qu’une œuvre vraiment forte, serrée, qui descende profondément dans la mémoire parmi toutes les improvisations prestigieuses de Diderot, c’est le Neveu de Rameau. Là encore c’est l’œil qui a guidé la main. Le neveu de Rameau est un personnage réel que Diderot a vu et contemplé avec un immense plaisir de curiosité. Il