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LE VAL-AUX-FÉES.

Une fois, il crut apercevoir les plis d’une écharpe qui s’agitait et flottait au vent. Il se découvrit alors et mit sa toque, ornée d’un bouquet de plumes blanches, au bout du fourreau de son épée. Son cœur accompagna ce lointain hommage et revint aux pieds de la belle inconnue. Addel aimait. Il n’avait que seize ans, mais il était en ces vieux jours une tendresse naïve, timide et si pure ! — Il n’avait que seize ans, mais il portait la lance ; sa main et son cœur étaient forts : chez ces prédestinés au royal métier de chevalerie, l’homme devançait l’âge. Ils vivaient tôt, vite et bien, parce qu’ils vivaient tout près de la mort.

Lorsque les arbres de la route cachèrent enfin la maison de Lucifer, Addel se recueillit en lui-même et fêta silencieusement son jeune amour.

Il ne s’était point trompé. C’était bien la belle juive qui, suivant des yeux la marche de la cavalcade, avait agité son mouchoir en signe d’adieu. Rachel était la fille de maître Pointel. Son enfance s’était passée dans la retraite, selon les usages orientaux, car son père, affublé d’un masque chrétien, suivait en réalité, comme il a été dit déjà, les rites secrets de la religion judaïque. Rachel n’avait point vu souvent un si beau page que le fils de Lern. Les vierges d’Orient sont inflammables ; néanmoins, si notre Guichenais ne nous eût point positivement affirmé qu’elle se sentit éprise à la première vue, nous n’oserions point avancer cette circonstance romanesque et peu vraisemblable.

Rachel, durant tout le reste de cette journée, donna son âme à une rêverie inconnue. Le soir, son père lui fit présent d’un riche bandeau de pierreries.

— Je puis t’offrir cette bagatelle sans me faire plus pau-