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LE PETIT GARS.

crifice est dérisoire. Ce sont quelques jours solitaires et tristes, quelques semaines peut-être, que je donne à Dieu et au roi… Vous, c’est une vie entière, une vie double, car votre unique enfant ne vous survivra point.

— Mais écoutez-moi, par pitié ! s’écria Henriette ; vos paroles me torturent… Mon fils ! Oh ! Dieu ne peut vouloir qu’il meure…

— Que je voudrais être à votre place, ma fille ! reprit encore le vieillard ; — que votre mort sera belle devant les hommes et devant Dieu !

— La mort ! toujours la mort ! murmura Henriette dont toute la joie s’enfuyait devant cette lugubre éloquence ; — si je pouvais lui faire comprendre…

Elle se pencha vivement à l’oreille du marquis, et cria de toute sa force ;

— Il va venir ! il va venir !

Le vieillard parut avoir entendu ce dernier mot.

— Chut ! fit-il avec mystère ; je le crois comme vous, madame ; ils vont venir… par là… C’est par là que je les attends… mais, de par Dieu ! ils ne trouveront point ce qu’ils cherchent. Écoutez-moi, vous êtes digne de me comprendre, et je suis sûr qu’au moment suprême vous ne faillirez point. Je n’entends plus ; je vois à peine ; ils pourraient me surprendre, et ce serait, madame, un terrible malheur !… Lorsqu’ils arriveront, lorsque les coups ébranleront les dernières pierres, faites un signe, et alors !…

M. le marquis de Graives, dont l’enthousiasme semblait aller croissant, ne finit point sa phrase, mais il saisit la mèche, et fit le geste de l’approcher du baril.

Henriette comprit à demi ce que signifiait cette menaçante pantomime : elle se précipita sur le baril, et reconnut