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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Insensiblement, la conversation, après avoir effleuré divers sujets, était tombée sur l’abbé de Kernas. Le docteur, entraîné par ses souvenirs, parlait avec chaleur des services nombreux et désintéressés que le bon prêtre lui avait rendus autrefois. Sainte l’écoutait et se réjouissait ; la pauvre enfant croyait que cet hommage rendu à un homme proscrit par la république était une preuve que les opinions de son père devenaient moins extrêmes et moins passionnées. Malheureusement la pente était glissante, et l’ancien curé de Saint-Yon ramena tout naturellement le docteur à ses déclamations favorites.

— Il était bon, dit-il, il était vertueux, et sa présence était une bénédiction pour le pays. Je l’aimais comme un frère… Mais doit-on regretter un juste quand le coup qui l’a frappé a jeté bas, en même temps, des milliers de scélérats et de tyrans ?

Ils étaient alors au centre de la forêt de Rieux, à deux ou trois cents pas du château. Sainte, voulant détourner l’entretien, montra du doigt, au hasard, un objet qui s’élevait au bord du sentier.

— Qu’est-ce-là, mon père ? dit-elle.

Le docteur leva les yeux et s’arrêta stupéfait. Sainte elle-même tressaillit ; elle se repentit vivement de sa question étourdie.

Au centre d’une étoile, formée par le croisement de plusieurs routes, s’élevait autrefois une croix de bois, dont les bras et la tête, terminés en fleurs de lis, avaient éveillé la susceptibilité des Bleus. La croix, depuis bien longtemps, gisait à terre, sous la bruyère touffue ; on l’avait remplacée par un poteau routier, surmonté d’un bonnet phrygien.

Mais ce jour-là, les choses avaient changé de face. C’était,