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LE MÉDECIN BLEU.

Ce soupçon n’était point sans quelque fondement.

René, pendant son séjour à Saint-Yon visitait souvent, à l’insu de son père, la cabane de Jean Brand. Le ci-devant bedeau était trop prudent pour endoctriner lui-même le jeune homme : il eût fallu se confier à lui, et Jean Brand ne se fiait à personne ; mais il y avait sous son toit un autre avocat dont la prestigieuse éloquence savait trouver le chemin du cœur de René. Marie Brand était royaliste, et elle portait dans la manifestation de son opinion cette fougue ardente et indomptée qui était le fond de son caractère. Quand elle parlait du meurtre de Louis XVI ou des innombrables assassinats par lesquels la Convention déshonorait sa cause, son œil flamboyait d’un éclat étrange ; sa voix d’enfant vibrait, perçante, et atteignait un diapason presque viril.

René dévorait alors, bouche béante, la parole de la charmante enthousiaste. Sa haine propre se fortifiait de la haine de Marie, et il jurait mentalement de faire une guerre à mort à quiconque portait la cocarde aux trois couleurs.

Il ne songeait pas que ces couleurs étaient celles du drapeau de son père.

Sainte ignorait cette circonstance. Elle avait religieusement exécuté l’ordre du docteur et avait cessé depuis longtemps de voir Marie.

Celle-ci, bien qu’elle habitât toujours la pauvre cabane de Jean Brand, avait pris des habitudes qui ne convenaient guère à la fille d’un paysan. Elle portait des robes de demoiselle, et il n’était pas rare de la rencontrer dans les sentiers de la forêt, montée sur un magnifique cheval que n’aurait pas pu payer la vente du patrimoine entier de Jean Brand, et tenant à la main un petit fusil luxueusement orné, dont les garnitures d’argent renvoyaient, en gerbe, les rayons du so-