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LES CONTES DE NOS PÈRES.

René déposa un dernier baiser sur son front, et disparut sur la route de Vannes.

Il se faisait tard ; Sainte reprit le chemin de la demeure de son père. En passant près de l’église, qui était fermée et déserte, elle s’agenouilla sur le seuil.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle avec ferveur, faites que cette horrible crainte ne se réalise point ! Ils sont bons tous les deux et suivent la voix de leur conscience. Si l’un ou l’autre se trompe, et que ce soit un crime, prenez ma vie, mon Dieu, et ne permettez point qu’une lutte impie les rapproche, et que…

Elle n’eut point la force d’achever.

— Puisse Dieu vous exaucer, ma fille ! dit auprès d’elle une voix grave et triste.

Sainte se releva vivement. Un homme enveloppé d’un vaste manteau s’était agenouillé à ses côtés. Elle reconnut l’abbé Kernas, l’ancien curé de Saint-Yon.

C’était un beau vieillard à la physionomie ferme et douce à la fois. Il était découvert ; les rayons de la lune, luttant contre les dernières lueurs du crépuscule, envoyaient à son front chauve, entouré d’une transparente couronne de cheveux blancs, un reflet indécis, presque fantastique. Sainte se sentit calmée par cette apparition inattendue ; elle s’inclina comme elle avait coutume de faire autrefois devant le prêtre, et celui-ci prononça sur elle les paroles de la bénédiction.

— Ma fille, dit-il ensuite, ce que je craignais est arrivé, je le devine. Votre père, que je regarde encore comme mon ami, bien qu’un abîme nous sépare maintenant, n’a pu étouffer les convictions de René ; leurs opinions se heurtent, et peut-être…