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LES CONTES DE NOS PÈRES.

ce moment suprême, sa grande taille s’était fièrement redressée. Son hautain visage, autour duquel voltigeaient quelques mèches de cheveux blancs, brillait d’une résignation sublime. Il portait le costume de lieutenant général, et ce fut l’épée à la main qu’il se présenta devant ses ennemis.

Les soldats se sentirent intimidés, mais le délégué reprit courage.

— Salut, citoyen ! dit-il ; on a besoin de toi là-bas au tribunal… Tu es bien le citoyen Bazouge, n’est-ce pas ?

— Je suis, répondit le vieillard d’un ton grave, Yves de Bazouge-Kerhoat, marquis de Bouëx, comte de Noyal et de Landevey, seigneur de Pléchastel, Kernez et autres lieux, chevalier des ordres du roi, lieutenant général des armées et…

— Assez, citoyen, assez ! Il y en a dix fois de trop pour te faire pendre ! s’écria le délégué en éclatant de rire. — Allons ! donne-nous ta vieille rapière, citoyen marquis.

— Venez la prendre, répondit M. de Bazouge, qui se mit résolument en garde.

Le républicain, alléché parc cette facile victoire, dégaina et porta une botte au vieillard qui para faiblement. Henriette, plus morte que vive, s’élança au-devant de lui pour détourner le second coup, mais César se jeta au-devant d’Henriette. Ce fut lui qui reçut l’épée en plein poitrail.

— Pitié ! s’écria la jeune fille en tombant à genoux.

Le délégué répondit par un impitoyable ricanement, et releva son épée sanglante.

— Vive le roi ! dit M. de Bazouge en se remettant en garde.

— Vive le roi ! répéta cette même voix grave et forte que nous avons entendue une fois déjà.