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LES CONTES DE NOS PÈRES.

gard, levé vers le ciel, remerciait Dieu pour cette suprême consolation, accordée au soir de sa vie.

D’autres fois, l’aïeul et sa petite-fille se mettaient à genoux, côte à côte, sur un beau prie-Dieu d’ébène. L’aïeul priait pour ses quatre fils, martyrs de la plus sainte des causes, et pour le cinquième, qui attendait le même martyre. L’enfant priait pour son père. Et quand cet homme, qui avait donné sa famille entière à Dieu et au roi, avait fini de louer Dieu, il criait : Vive le roi ! — et la faible voix de la jeune fille répétait ce cri loyal, héroïque mot d’ordre que murmurait peut-être en ce moment la bouche mourante du dernier Bazouge, sur quelque champ de bataille vendéen.

Pendant cela, César était couché dans un coin du salon : ses yeux gris, à reflets de feu se fixaient amoureusement sur sa jeune maîtresse. Quand le regard d’Henriette tombait sur lui par hasard, il se levait à demi, tendait ses deux pattes de devant et humait joyeusement l’air. Il ne la perdait jamais de vue tant que durait le jour ; la nuit, il se couchait en travers de sa porte, comme faisaient les gentilshommes de la chambre des anciens rois de Portugal.

Dès qu’Henriette mettait le pied dehors, César tournait en bondissant autour d’elle. Il courait follement le long des grandes allées du jardin, enjambait les plates-bandes, et revenait mettre son museau dans le sable au pied de sa suzeraine. César aimait bien M. de Bazouge, mais nous ne trouvons pas de mot qui puisse peindre convenablement son attachement pour Henriette. Sur un geste d’elle, il eût abandonné un os à ronger, il aurait peut-être, sur son ordre, signé un traité de paix avec certain matou retranché dans les combles du château, et contre lequel il entretenait une vendetta héréditaire.