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LA MORT DE CÉSAR.

À cette époque, le château de Kerhoat n’avait plus cet aspect de vie et de bien-être qui réjouissait naguère ses hôtes, au bon temps où M. de Bazouge tenait table ouverte tant que durait la session des états de Bretagne. Situé à trois lieues de Rennes, sur la lisière de la forêt du même nom, le riche manoir servait alors de maison de plaisance à messieurs de la noblesse. C’était fête perpétuelle. Les remises, si vastes qu’elles fussent, ne pouvaient suffire à la foule des carrosses. Il fallait être duc ou ami du châtelain pour avoir place en l’écurie pour son attelage. Le soir, les vastes salons s’illuminaient ; les mille cristaux des girandoles envoyaient des faisceaux d’éblouissants rayons aux sculptures des lambris, à la sombre dorure des portraits de famille, aux émaux savamment éprouvés des écussons. Puis venait le splendide souper, égayé par les récits de quelque petit chevalier, qui avait été jusqu’à Paris où se passaient de fort singulières choses. Les dames s’étonnaient et ne voulaient point croire qu’il y eût au monde une femme aussi belle que la reine, et un homme aussi laid que M. de Mirabeau. Après le souper, le bal, le bal antérévolutionnaire, avec sa danse grave, digne, gracieuse, galante ; danse où pouvaient figurer les princesses. — danse naïve, mais hautaine, et qui rappelait, par son royal caractère, les nobles mœurs des jours chevaleresques.

Mais les lustres étaient éteints maintenant. Il n’y avait plus dans les longues galeries ni cavaliers empressés, balayant le sol du blanc panache de leur feutre, ni belles dames, ni velours, ni diamants, ni fleurs. Les bruits de fête se taisaient ; les splendeurs s’étaient voilées, et si quelque clarté venait, durant les nuits silencieuses, effleurer dans leurs cadres brunis les sévères visages des seigneurs de Kerhoat, c’était