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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Écoutez, dit Bertrand avec entraînement ; c’est par vous qu’il est malheureux : c’est par votre père qu’il fut coupable. — Votre dette est grande : il faut l’acquitter, mademoiselle.

— C’est vous que je veux sauver.

— C’est lui que vous sauverez !… Lui, mon pauvre Roger, mon frère, dont hier encore la vie était si pure et l’avenir si riant ; lui que la mort de notre père a fait mon enfant ; lui qui vous aime et qui vous a tout donné, jusqu’à notre honneur !…

— Mais vous… vous ! interrompit Reine.

— Moi, mademoiselle…

Bertrand s’arrêta. Sa bouche, rebelle, se refusait à consommer le sacrifice.

— Moi, reprit-il enfin d’une voix altérée ; — moi… Je ne vous aime pas.

Reine s’appuya au mur humide de la salle basse. Elle défaillait.

— Vous voyez bien qu’il faut le sauver ! dit encore Bertrand.

— Oui, répondit Reine qui ressaisit sa fierté de femme ; — je le vois, et je suis prête, monsieur.

Roger était toujours assis sur le lit de camp, immobile, morne, le corps affaissé, l’âme engourdie. L’approche de Reine qu’introduisait Bertrand le galvanisa tout à coup.

Lorsqu’on lui dit de suivre Reine, il se leva et obéit. Il ne demanda point comment, prisonnier, il lui était permis de sortir. Il ne vit point que son frère demeurait à sa place. Pas un mot pour ce dernier, pas un geste d’adieu. Reine était là. Son esprit ébranlé n’avait plus de ressort que pour une pensée : Reine. — Il la suivit machinalement et d’instinct,