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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Entrez, madame, dit le soldat. La consigne est sévère, mais, dût-on me pendre, je ne me repentirais pas, si votre visite fait plaisir à M. le baron.

Ce que disait ce soldat, tous ses camarades l’eussent dit à sa place : Bertrand était si brave et si bon !

La femme voilée entra et se découvrit le visage. C’était Mlle de Montméril.

Bertrand n’était point préparé. La vue de Reine amollit son cœur. Il se sentit fléchir dans sa résolution. Sa passion, vaincue, se releva plus irrésistible, et recommença la lutte. Il aimait Reine de cet ardent et profond amour que l’homme n’a point deux fois en sa vie, et qui, refoulé un instant, reprend l’âme de vive force et la domine tyranniquement.

— J’étais résigné, pensa-t-il ; pourquoi Dieu m’envoie-t-il maintenant ce calice de suprême amertume !

Reine ne ressemblait guère à cette brillante jeune fille que nous avons admirée au bal de M. le marquis de Poulpry. Plus de diamants dans ses cheveux, plus de sourire à sa bouche : une robe sombre ; des yeux fatigués de larmes, et de la pâleur sur sa joue. Mais elle était belle ainsi, plus belle encore que la veille, entourée qu’elle était alors de tant de splendeurs et de tant d’hommages.

Bertrand, cachant son trouble sous une froideur respectueuse, s’était incliné en silence, et lui avait montré du doigt l’unique siège qui se trouvât dans l’antichambre. Reine ne voulut point s’asseoir.

— Monsieur, dit-elle, je viens vers vous d’après la volonté de mon père.

Elle s’attendait peut-être à quelque tendre reproche touchant la froideur de ce début. Son attente fut déçue.

— Monsieur de Montméril, répondit Bertrand avec tris-