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FORCE ET FAIBLESSE.

— Que Dieu le bénisse, frère ! dit-il d’une voix grave, mais exempte de toute amertume.

— Si tu savais ce que j’ai rêvé ! reprit Roger en tendant son front au baiser de Bertrand. J’en frémis encore, et il ne faut rien moins que ta vue… Mais où sommes-nous donc ?… ces froides murailles… ce sol humide…

Roger retomba sur son lit.

— Malheur ! malheur ! s’écria-t-il avec désespoir. Ce n’était pas un rêve, et le nom de notre père est flétri !

Bertrand prit sa main qu’il serra entre les siennes. Il y avait tout l’amour d’un père dans le regard triste et résigné de l’aîné de Saint-Maugon. Roger pleurait et ne cherchait point à retenir les sanglots qui soulevaient sa poitrine.

— C’est toi qui seras son époux ! prononça-t-il d’une voix entrecoupée ; — misérable et insensé que je suis ! cet homme m’a trompé…

— Il était bien fort contre toi, pauvre frère !… ce fut, de sa part, une tentation perfide.

— Oh ! oui, s’écria Roger ; perfide en effet ! ses paroles… il me semble les entendre encore !… troublaient mon cœur, aveuglaient ma raison. Que sais-je ? s’il m’eût demandé davantage !… mais que pouvait-il me demander de plus !

Il retira d’un geste brusque la main que pressait Bertrand, et détourna la tête.

— Vous me méprisez, monsieur mon frère, dit-il.

— Je t’aime et je te plains, répondit doucement le capitaine.

— Vous me plaignez !… votre rôle est facile : vous êtes heureux, vous !

Bertrand regarda le ciel.

— Frère, dit-il, tu souffres… Je te pardonne.