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LES CONTES DE NOS PÈRES.

travail pour un homme de l’âge de monsieur le marquis !

Henriette ne comprenait pas parfaitement, mais elle n’eut pas le temps de demander des explications. Bernard, en effet, prit la résine qui brûlait, retenue par un bâton fendu, fiché dans la paroi intérieure de la cheminée, et se dirigea vers la porte. D’un geste respectueux, il invita la jeune dame à le suivre.

Blaise Houdé de Bellissant, marquis de Graives, était seul dans un grand salon carré, tapissé de haute lisse, et meublé avec cette magnificence ample, opulente, un peu trop cossue qui caractérise le luxe breton. C’était un homme de grande taille, mais courbé par l’âge ; il atteignait alors les plus extrêmes limites de la vieillesse, et comptait près de cent ans. Des deux côtés de son front large et fier tombaient les mèches, touffues encore, d’une chevelure blanche comme la neige. Ses yeux éteints et voilés semblaient nager dans un milieu terne, sans reflets ; mais l’arc audacieusement dessiné de ses épais sourcils et les lignes sévères de sa bouche annonçaient que le temps n’avait point dompté l’inébranlable détermination de son caractère. Il était assis dans un fauteuil dont le haut dossier, renversé en forme de bateau, portait, brodé, l’écusson de Bellissant, burelé d’or et de gueules, au chef d’azur, chargé d’un buste de carnation issant d’un nuage d’argent. Auprès de lui, sur une table, reposaient son épée, un livre d’heures et un cornet acoustique. Le marquis de Graives était sourd. Dès que Bernard parut, le marquis se tourna vers lui avec une vivacité que ne promettait point son grand âge :

— Pierre-Paul est-il de retour ? demanda-t-il en appliquant le cornet à son oreille.

Bernard, tout en faisant un signe négatif, s’effaça et