Page:Féval - Les contes de nos pères, 1845.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
FORCE ET FAIBLESSE.

— Mais vous me parlez de deux cents ans ! voulut répliquer Roger ; il n’y a plus de duc…

— Les souverains ne meurent pas, monsieur, prononça lentement Montméril, et leurs droits ne sont point de ceux qui se peuvent prescrire. — M. de Montméril ôta respectueusement son feutre. — Monseigneur Julien d’Avaugour, héritier légitime et direct de la maison de Dreux, sans armée, sans argent, exilé, proscrit, est, par la grâce de Dieu, duc de Bretagne, tout comme s’il avait cent mille soldats, des trésors et une patrie !

— Je respecte le malheur de M. d’Avaugour, mais je suis né sujet du roi, et je porte l’uniforme de son armée.

— Tant pis pour vous ! dit une seconde fois le président.

Il se fit un instant de silence. M. de Montméril avait parlé avec éloquence et noblesse, parce que ses paroles, pour être témérairement appliquées, énonçaient néanmoins un principe fondamental et d’une éternelle vérité. Mais il se souvint qu’il était venu pour faire un marché ; son langage changea.

— Je suis un homme de robe, reprit-il au bout de quelques secondes, et vous me l’avez rappelé à propos, car j’avais tentation de parler plus qu’il n’est besoin… Ma volonté est irrévocable. Toute discussion serait superflue. Vous n’avez, pour la fléchir, qu’un moyen… un seul !

Roger tendit avidement l’oreille. C’était son arrêt qu’on allait prononcer.

— Je ne vous demande point, continua M. de Montméril, de vous faire Breton après avoir été Français. Nous sommes assez nombreux, Dieu merci, pour n’avoir pas souci de quêter des défenseurs, — mais il se trouve dans ces murs cent malheureux dont le seul crime est d’avoir été fidèles,