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LES CONTES DE NOS PÈRES.

nante chanson du Normand ? le grêle et glapissant fausset du Parisien ? ou le chôli barler des pons hâpitants de l’Alsace ?

Reine n’écoutait point ces questions et ces réponses qui se croisaient autour d’elle. C’était, pour son oreille, un bourdonnement dépourvu de signification. Son regard restait fixé sur la porte par où venait de sortir Bertrand.

— Ne m’aime-t-il donc plus ! murmura-t-elle.

Reine fut bien triste pendant une grande demi-heure. Puis elle fut saisie par la fièvre du bal. Sa tête tourna au vent de ces frivoles pensées qui sont dans les notes joyeuses de l’orchestre, dans l’éblouissant éclat des girandoles, dans l’atmosphère de la fête, toute saturée de parfums. Elle dansa : ses rivales furent écrasées sous le poids de son triomphe ; son triomphe l’étourdit et l’exalta.

Soyons cléments. D’honnêtes cœurs, des hommes graves ont oublié parfois de sérieuses douleurs au milieu d’un succès de tribune ou d’académie ; nul ne résiste au prestige de l’ovation ; nous ne pouvons exiger que l’âme d’une jeune fille ait cette mémoire précise, tenace, imperturbable, que possède tout seul ici-bas l’estomac d’un député des centres.