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LES CONTES DE NOS PÈRES.

-je, ce dut être jadis une noble forteresse… Ah çà ! mon brave, continuai-je tout haut ; — les fées ne meurent point : à quoi passent-elles leur temps à présent ?

Joson avait bu quelques écuelles de trop. Il enfonça son grand chapeau sur l’oreille gauche, et brandit son bâton de cormier d’un air fanfaron.

— Les damnées ! murmura-t-il ; elles donnent la gale aux moutons ; elles tordent le cou des poulains sur la lande ; elles affolent les génisses ; elles sèchent le trèfle sur tige, piquent le blé noir, et font tourner le lait des vaches.

— Les avez-vous vues quelquefois ?

— Faut dire la vérité !… Un soir de dimanche, j’ai vu trois petites bêtes se cacher sous une touffe de genêts dans le Val, trois petites bêtes qui étaient laides comme des péchés… Je fis un signe de croix, notre monsieur, et je pris ma course.

Cette conversation dégrisait sensiblement mon Guichenais. La brune commençait à tomber. Joson perdait son allure vaillante ; sa voix avait moins d’éclat, et il jetait d’anxieux regards sur les buissons du chemin.

— Ce n’était peut-être pas les fées ? dis-je pour le faire parler.

— C’était ce que cela voulait… Un bon chrétien a autre chose à faire qu’à penser à tout cela.

— Qu’est-ce ? Joson, m’écriai-je, en m’arrêtant tout à coup ; — avez-vous vu ?…

Joson devint pâle comme un mort.

— Faut pas mentir ! murmura-t-il.

— Avez-vous vu ces trois êtres étranges ?

Les dents de Joson se prirent à claquer comme des castagnettes.