Page:Féval - Les contes de nos pères, 1845.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
LE VAL-AUX-FÉES.

temps encore pour lui de racheter les domaines de son père. Rachel, dès le premier instant, avait résolu d’empêcher cette inique spoliation, et, si elle ne voulait point habiter le manoir de Lern, c’est que la pensée de jouir d’un bien usurpé sur Addel ou son père lui faisait horreur. L’absence, loin d’éteindre l’amour de la belle fille du juif, avait contribué à le grandir. Sans cesse en face d’elle-même, dans sa solitude, elle évoquait le souvenir d’Addel ; elle le revoyait tel qu’il était à l’heure du départ ; elle s’enivrait de son dernier regard, si tendre et si doux, si plein de serments de constance.

Mais elle ne se bornait point à de stériles souvenirs. Les chevaliers qui revenaient de Palestine n’avaient point coutume d’apporter d’autre butin qu’un honneur sans tache et la gloire gagnée en combattant les infidèles. Or, gloire et honneur ne se peuvent point monnayer. Quand Addel reviendrait, comment ferait-il pour racheter Lern et le Val ?

Voilà ce que se demandait Rachel.

Cette question n’était point facile à résoudre. Tant que Lucifer continua d’habiter sa maison de Rennes, sur les bords de la rivière d’Ille, Rachel se tortura l’esprit sans trouver aucun moyen. Quand Lucifer vint à Lern, Rachel, attristée par l’attente et l’inquiétude, prit la coutume de se promener seule par les sentiers déserts qui couraient sous les taillis, dans les profondeurs du Val. À demi chrétienne déjà, par l’amour pur, dévoué, sans bornes, qu’elle nourrissait pour un chrétien, elle priait Dieu et Marie de lui donner conseil.

Il fallait dix mille écus d’or pour racheter Lern. Contre cet obstacle venait incessamment se briser le bon vouloir de la pauvre Rachel.