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LE VAL-AUX-FÉES.

qui indiquait chez ces vieilles personnes un appétit fort sauvage, car la peau d’un usurier doit faire, après tout, un assez triste festin. — Quand elles étaient rassasiées de mordre, Lucifer les voyait avec terreur reprendre lentement la taille humaine. Elles grandissaient, grandissaient, et s’asseyaient en rond au milieu de la chambre afin de tenir un grave conseil. Ce qu’elles disaient alors, Lucifer ne le comprenait point, mais il pensait que ce devaient être d’effrayantes choses, et ses cheveux gris se dressaient sur son crâne déprimé.

Vers le matin, Gulmitte, Reschine et Mêto enfourchaient le premier rayon du jour, et disparaissaient en grinçant un cacophonique éclat de rire.

Cela se renouvelait souvent. Maître Pointel en perdait la tête. Néanmoins, comme tout larron tient outre mesure à la chose volée, la pensée d’abandonner le château de Lern ne lui venait jamais. Le jour, il tâchait de se persuader que les terreurs de sa nuit étaient l’effet d’un rêve. Il buvait du mieux qu’il pouvait avec ses hommes d’armes, et attendait, tremblant, malgré son ivresse, que l’heure du sommeil fût venue.

Quant aux gens, vivants ou morts, qui étaient en Palestine, on peut affirmer que Lucifer ne s’en inquiétait point. Ce glorieux nom de comte Addel qu’il entendait répéter dix fois chaque jour, n’éveillait en lui aucune crainte. Qu’importait au juif la renommée d’un chrétien ?

Rachel, au contraire, s’occupait fort de ce valeureux comte dont parlaient avec admiration voyageurs et pèlerins. Chaque fois que l’occasion s’en présentait, elle se faisait dire longuement ses batailles et ses victoires. Elle pâlissait au récit des dangers courus ; elle tressaillait d’orgueil