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leurs clients de choix, fils de hautes familles ou garçons de café. Ses mains, qu’il avait fines et belles, étaient gantées de frais.

En soi, chacune de ces choses n’avait rien de triste, et pourtant c’était triste, terriblement.

Dehors, au contraire, les feuilles de mai riaient franchement au soleil. Entre les plis sombres des rideaux, on voyait jouer la brise dans les touffes de lilas qui agitaient leurs masses fleuries, et le printemps sans défiance frappait aux carreaux de la croisée.

Je l’ai dit : on était au 23 mai.

Mais le printemps n’entrait pas, ni le parfum des fleurs, ni le sourire de la jeune année.

Devant M. le marquis, sur la table, dans l’étroit espace ménagé entre les livres, on voyait un journal, un cahier de papier et une pelote sur laquelle était piqué à l’aide d’une épingle un memento ainsi conçu : « 26 août, 23 mai— 270 jours.

Le memento piqué sur la pelote était très-apparent. Les deux dates qu’il rappelait se trouvaient répétées sur la feuille qui couvrait le cahier de papier et qui portait cette mention inachevée : « du 26 août 1846, à Milan, jusqu’au 23 mai 1847, à Paris… »

Le titre du journal était : La Gazette des Tribunaux.

Le marquis Giammaria se tenait immobile, les yeux grands ouverts, le corps droit, mais le cou incliné. Ses deux mains se croisaient sur ses genoux. Il ne regardait rien. Il songeait sans doute, mais sa physionomie à la fois brillante et morne ne laissait lire aucune espèce de pensée.