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peut-être un redoublement de fièvre, causé par son imprudence. Mme Marion a presque autant d’intérêt que vous à le sauvegarder… Vous avez fait la guerre des prairies, capitaine ?

— Plût à Dieu que j’eusse encore à combattre sur ce terrain-là ! soupira Blunt. Votre Paris me fait peur.

— Il n’y a pourtant, reprit M. Chanut, que l’apparence de changée : du pavé au lieu d’herbe et des Habits-Noirs à la place des Peaux-Rouges. Ici, comme là-bas, l’arme la plus sûre est la ruse, et la suprême tactique consiste à ne se point montrer trop vite. Vous comprenez bien cela puisque, en arrivant en France, votre premier soin n’a pas été de prendre le jeune homme par la main pour le conduire à sa mère.

— À sa mère ! s’écria Blunt, dont le visage exprimait un véritable ébahissement ; vous avez donc été en Amérique ?

— Jamais ! je vous l’affirme.

— Et cependant vous savez tout !

— Tout ? répéta Chanut. Vous allez trop loin, capitaine. J’en saurais davantage et ce serait tant mieux pour vous, si vous aviez eu confiance en moi dès l’abord. J’ai dépensé du temps à connaître des choses que vous auriez pu et dû me dire, mais mon travail n’a pas été en pure perte. J’ai découvert…

Il s’interrompit parce que Blunt s’était laissé choir sur le lit et plongeait sa tête entre ses deux mains qui tremblaient.

Le découragement avait quelque chose de terrible chez cette mâle et robuste créature.