Page:Féval - Les Cinq - 1875, volume 1.pdf/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous aimiez le jeune comte Roland comme un frère…

— Comme un frère chéri ! appuya la jeune fille dont l’accent eut une nuance de hauteur.

L’aveugle se rapprocha. Vous eussiez juré qu’elle voyait, tant sa prunelle, fixée sur Charlotte, brillait.

— Et celui-là, dit-elle en pointant son doigt dans la direction du blessé, comment l’aimez-vous ?

Mlle d’Aleix recula, offensée, et voulut s’éloigner, mais l’aveugle la retint encore, et demanda d’une voix adoucie :

— Est-ce qu’il lui ressemble ?

— Bonne mère, repartit cette fois la jeune fille, vous le savez bien, puisque vous avez palpé ses traits et que vos doigts ont le sens de la vue.

La prunelle de l’aveugle s’éteignit.

— Il y a une menace au-dessus de nous, dit-elle, comme si elle eût pensé tout haut : deux menaces. Domenica Paléologue a trop d’argent ; jamais l’argent ne porte bonheur. Elle est seule ; les années qui passent ne lui donnent pas l’expérience. Dites-lui de prendre garde…

— Vous savez quelque chose ! s’écria Charlotte, qui l’entraîna au dehors. Dites ce que vous savez, au nom du Dieu !

— Dieu ! répéta l’aveugle, dont le front s’inclina.

Elle s’arrêta pour reprendre avec découragement :

— Dieu ne m’écoute plus quand je prie. J’ai vu le père tomber sous la main de l’enfant ! Ah ! j’ai pleuré, pleuré du sang. Pétraki était un brave homme : Com-