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Paris était évidemment à cent lieues, sans qu’on fût pour cela plus voisin de la campagne. Vous n’eussiez pas trouvé ici trace de l’effort qui relève. On travaillait, mais à des métiers paresseux ; les chasseurs de chiffons étaient en majorité. Peu de querelles, peu de bienveillance aussi ; une seule haine : le Principal ; une seule curiosité : la Tartare.

La Tartare, c’était cette grande femme assise là-bas, à l’écart, sur une pierre, qui soutenait dans ses bras une enfant malade et endormie.

L’enfant était une femme de dix-huit ans, quoiqu’elle ne parût pas avoir atteint sa quinzième année, et son mari, Joseph Chaix, était le seul ouvrier véritable qui habitât le trou Donon.

Celui-là partait de bon matin et rentrait tard. Il adorait sa petite femme, il aimait sa belle-mère ; il rapportait tout ce qu’il gagnait bien fidèlement, mais ses journées se passaient à chercher du travail, plutôt qu’à travailler. Pourquoi ? Le trou Donon tout entier vous aurait répondu : « La Tartare portait malheur. »

Il y avait déjà longtemps qu’elle était arrivée, un matin, avec son gendre et sa fille, si pâle et si jolie. Le Poussah leur avait loué, le plus cher possible, la plus belle de ses masures qui avait deux chambres, dont une à cheminée. Les voisins avaient oublié tout de suite un nom étranger qu’elle avait pour l’appeler la Tartare, parce que chaque dimanche, quelque temps qu’il fit, elle prenait son bâton pour traverser Paris tout entier et se rendre à l’église russe dont les dômes dorés se voient du boulevard de Courcelles. Ses grands