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La nuit, le trou Donon manquait de tout système d’éclairage. « La place, » comme on appelait complaisamment le terrain vague, était un véritable désert, mais un désert peu dangereux parce qu’il n’y passait personne. En été, à dix heures, en hiver dès huit heures, le trou Donon dormait à l’unanimité.

La grande maison s’élevait, flanquée de trois masures, entre la place et la rue de Babylone. De l’autre côté de la place, il y avait une demi-douzaine de masures et autant de réduits sans nom, habités ou vides.

Le 3 août 1867, à sept heures du soir et par une chaleur étouffante, toutes les pauvres demeures composant le trou Donon avaient vomi leurs locataires au dehors. La place était dans toute sa gloire, et vraiment, personne n’aurait pu soupçonner à quel chiffre se montait la population de ce coin. Il y avait de véritables bandes d’enfants grouillant dans la poussière et taquinant la chèvre, pendant que les parents prenaient l’air, assis par groupes ou couchés paresseusement partout où le hasard avait mis un brin d’herbe.

La physionomie de ces Tuileries de la misère était triste, mais non point menaçante. Ce n’était pas du tout une de ces cours des Miracles où le meurtre et le vol campent au beau milieu de Paris, et c’est à peine si le cabaretier avait trois ou quatre clients à ses tables vermoulues.

On était neutre dans ce pays perdu qui semblait affaissé et résigné sous le faix de l’indigence. Rien n’y perçait, ni le bien ni le mal.