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et coupé, à de rares intervalles, par des paroles de triste augure.

L’arrivée d’un étranger, qui est toujours un événement dans ce coin reculé de la Bretagne, empruntait ici aux circonstances qui l’avaient accompagnée une émotion d’intérêt et de curiosité. Il ne faut pas entrer brusquement dans le ruisseau dont on veut scruter le cours tranquille. L’eau se trouble, le poisson se cache, et ce luisant caillou que vous vouliez voir de plus près a disparu sous la vase soulevée par votre pied imprudent.

Robert se faisait écran à lui-même.

En outre, il faut bien le dire, à l’heure où nous avons pénétré pour la première fois dans le manoir, René avait auprès de lui un flacon d’eau-de-vie à moitié vide. Or Penhoël à jeun était un mari confiant et doux, mais il avait l’ivresse farouche, et l’alcool changeait en noires visions les souvenirs douloureux qui étaient au fond de son âme.

L’expédition sur le marais avait entièrement dissipé les fumées de l’eau-de-vie. Son cerveau était libre, et la conscience qu’il avait d’avoir sauvé la vie à deux hommes lui mettait du contentement au cœur.

Seul, parmi les convives qui entouraient la table, l’oncle Jean avait gardé la mélancolie que