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velée qu’elle était, à Margou Chailhou, dame de céans, plus échevelée et plus sale. Minou Chailhou suait à grosses gouttes, Cathou Chailhou avait l’air d’une folle, tant elle galopait gauchement sur ses larges pieds nus, parmi la cohue des chalands qui occupait le rez-de-chaussée de la cabane, et Margou Chailhou, pestant contre ses fourneaux, confondant le sel avec le poivre et hachant des monceaux d’ail avec désespoir, présentait l’aspect d’une vieille femme très laide, toute prête à tomber de fièvre en chaud mal.

Abondance de biens nuit, dit le proverbe. Il y avait abondance de biens chez les Chailhou. Au lieu du voyageur unique qu’ils attendaient parfois en vain toute une semaine, trente voyageurs, cinquante voyageurs étaient tombés sur eux, demandant à boire, à manger, à dormir ; et ces voyageurs encore étaient de la plus turbulente espèce, laquais, sergents, gens de guerre et gens de justice ; affamés, bruyants, querelleurs. Minou, Cathou et Margou Chailhou ne savaient littéralement auquel entendre ; ils fléchissaient sous le poids de cette fortune inattendue et se vengeaient sur une demi-douzaine de Chailhou en bas âge, petites filles et petits garçons qui, habitués à la liberté des pauvres demeures, s’étonnaient d’être battus et cherchaient asile sous les tables, comme une portée de jeunes loups.

Il y avait pourtant de la joie dans la détresse du brave aubergiste, et l’on voyait bien déjà qu’avant la fin de la soirée il allait se redresser dans l’orgueil de sa vogue inopinée. En essuyant de temps à autre, à tour de bras, la sueur qui