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— Soyez avec votre ange gardien. Le château est assez haut et assez large peur qu’on le voie, pourtant.

Et il étendit la main vers le mamelon noir, montrant toutes ses dents en un sourire de pitié.

Après quoi il se livra de nouveau au charme de sa musique muette et solitaire.

Notre jeune voyageur posa sa main au-devant de ses yeux et regarda dans la direction indiquée par le pâtre. Il poussa un cri de joie comme si sa vue se fût dessillée tout à coup. Au milieu de cette masse, noire et ronde, sorte d’écran dont le soleil couchant découpait violemment les bords, quelques lueurs vagues venaient de se montrer, semblables à ces rayonnements de la prunelle des bêtes fauves qui avertissent le chasseur dans la nuit. C’était une ligne de points brillants allumés aux vitres d’une vaste habitation par les reflets perdus de l’occident.

L’œil de l’étranger, guidé par ce signe, chercha et s’orienta. Tout un ensemble de profils sévères et grandioses se détacha faiblement, noir sur noir, du front du mamelon. C’était d’abord un château carré, flanqué de tours trapues et coiffé d’un donjon svelte dont la pointe arrivait juste à la ligne du ciel, parmi les têtes aigües d’un rideau de sapins. C’étaient ensuite de vastes bâtiments, communs et fermes, dont les toitures ternes formaient un escalier descendant à la vallée. C’était enfin, dans un pli plus sombre, un clocher rustique, dont le coq, placé par hasard dans le creux d’un feston, dessinait distinctement sa silhouette noire sur le ciel empourpré.