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bre de château ! C’est cinq ou six lieues encore à faire, des lieues de Rouergue, longues comme les milles allemands ! Et Rodomont n’en peut plus !

Rodomont était le nom de la pauvre bête qui laissait pendre sa tête triste entre ses jambes écartées.

Certes, à cette heure, Rodomont n’était pas bien nommé.

Notre voyageur mit pied à terre et conduisit Rodomont par la bride jusqu’à la rivière dans l’espoir qu’il pourrait l’abreuver. Mais l’eau jaunâtre coulait à dix pieds au-dessous du bord, coupé à pic.

— Diable de pays ! gronda notre homme, j’y suis venu pourtant déjà, et je reconnais bien les rivières qui sont des puits creusés en long, mais quant à la route… Holà ! garçon ! s’interrompit-il en apercevant un être humain de l’autre côté de l’eau.

L’être humain, qui était un pâtre de la Carrigue, vêtu de pittoresques haillons, tira de sa poche une guimbarde qu’il mit avec soin entre ses dents et commença à exécuter une de ces mélodies égoïstes que les bergers des Cévennes chantent en dedans. Aucun son n’arrivait jusqu’au bord où était notre cavalier.

— Holà ! mon ami, reprit celui-ci, veux-tu me dire à combien de lieues je suis encore du château de Pardaillan ?

Le pâtre eut un sourire, mais n’interrompit point sa musique. Quand il eut fini seulement, il toucha le lambeau de feutre qu’il avait sur la tête et cria dans le rauque patois de la montagne :