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« Est-ce que tu serais un homme, après tout, Cadet Renaud ? murmura-t-il. Voilà qui m’étonnerait ! »

Saint-Venant eut un sourire équivoque.

« Vous êtes à flot aujourd’hui, dit-il, et, entre parenthèse, je me trouve avoir besoin d’une vingtaine de louis. »

Gondrin prit une poignée d’or sur la table et la lui tendit sans compter.

Saint-Venant remercia froidement. Gondrin poursuivit :

« Pour qui travailles-tu, Cadet Renaud, mon ami ?

— Pour moi, » répliqua le futur maître des requêtes en mettant l’argent dans sa poche.

Gondrin salua.

« Je déteste M. de Guezevern pour mon propre compte, dit Saint-Venant, le plus tranquillement du monde.

— Ah ! diable ! Et peut-on savoir pourquoi ?

— Le pourquoi est double, triple, quadruple. Il m’a battu quand nous étions enfants tous deux ; il a eu de la barbe avant moi qui suis son aîné…

— Diable ! diable ! répéta le baron, c’est grave !

— Il est brave, il est fort, il est beau ! Il court risque d’être riche et d’avoir le titre de comte… et il m’a pris une femme que j’aimais.

— Démonios ! Et l’aimes-tu encore, neveu, cette femme-là ?

— Peut-être. »

Il y eut un silence ; ce fut Renaud de Saint-Venant qui le rompit le premier.

« Monsieur le baron, prononça-t-il à voix basse, vous n’avez pas fait assez d’attention à mes paroles. J’ai dit : il est à Paris.

— J’ai bien entendu, mon fioux ; après ?

— S’il est à Paris, il ne peut pas être au château de Pardaillan.

— Cela me paraît probable.

— S’il n’est pas au château de Pardaillan, il ne pourra écrire ni signer les acceptations ou contrats à l’aide desquels on comptait vous déshériter bel et bien.

— C’est juste, fit Gondrin qui suivait cette argumentation avec un évident intérêt. Sais-tu que tu vaux ton pesant d’or, mon fioux ?

— Oui, répliqua Renaud, je le sais… et vous avez mis du temps à vous en apercevoir, mon compère. Par moi, par moi seul vous avez appris les intelligences que la jeune dame de Guezevern s’était ménagées près de votre oncle. Celle-là est une fée, et si maître Pol est sauvé, ce sera par elle. Voilà longtemps qu’elle m’a deviné. Heureusement, que je suis le parrain de son fils et que son Breton de mari a précisément les yeux qu’il faut pour prendre les vessies pour des lanternes. Mais c’est égal, si nous n’avions pas eu là-bas, à Pardaillan, dans le pays de Rouergue, ce clerc de tabellion, qui m’avertit chaque semaine… »

Tout en écoutant désormais, M. le baron de Gon-