Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’être point rentré, quand sonnaient huit heures de nuit, dans le giron de sa bourgeoise.

C’était un soir. Il pleuvait. Messieurs de Vendôme, d’Elbeuf, de Candale, de Montmorency-Bouteville, les deux Marillac et mylord Montaigu sortaient de chez la Rochebonne, au Marais Saint-Germain, où ils avaient fait la mérande avec des dames dont l’histoire ne rapporte point les noms, quoique ces noms, peut-être, ne fussent pas étrangers à l’histoire.

On appelait mérande une collation galante, prise en plein jour, mais à volets fermés et girandoles allumées.

Pendant que ces messieurs mérandaient dans le salon de la Rochebonne, toujours plein de fleurs animées, leurs pages et officiers festoyaient quelque autre part, et vers huit heures, quand la cérémonie s’acheva, maîtres et serviteurs étaient d’une gaieté folle, sauf ce brave duc de Vendôme à qui le plaisir donnait la colique toujours.

On rossa le guet généreusement. C’était, paraîtrait-il, une volupté de prince. On arracha des marteaux de porte, comme la chose se fait encore à Londres, cette ville grave, quand les jeunes membres du haut Parlement sont en belle humeur, on changea les enseignes, mettant la guirlande de boudins d’un charcutier à la porte d’une sage-femme, et le tableau de l’accoucheuse à l’huis d’un procureur.

On cassa les vitres, on coupa des manteaux ; on s’amusa, en un mot, comme des bienheureux, toujours à l’exception de César de Bourbon, duc de Vendôme, qui allait, geignant et appuyé au bras de son page, auquel il disait :

« Bas-Breton ! tête de bœuf ! n’as-tu jamais la colique ? »

Le page, il faut bien l’avouer, enrageait de ne pas être à la place de ses amis et camarades qui servaient des maîtres bien portants.

On entendait au loin les folles clameurs de la bande, pendant que le fils d’Henri IV cheminait péniblement vers son palais, le corps en double et répétant :

« Pol ! moitié de sauvage, rentrons pour que je boive ! Damné Bas-Breton, ne vois-tu pas que, pour guérir, il me faut boire et reboire ?

— Patience, mon seigneur, répondait Guezevern. Vous savez bien que quand vous aurez bu et rebu, la colique augmentera. Ce qu’il vous faudrait, c’est une semaine d’abstinence. »

Il n’acheva pas, parce que le duc tira son épée, annonçant l’intention de le tuer sur la place, pour châtier cette sacrilège suggestion.

Guezevern s’éloigna pour deux motifs ; d’abord il n’avait pas fait le sacrifice de sa vie, ensuite, il venait d’entendre un cri plaintif, un cri d’enfant ou de femme, parmi les bruyantes rumeurs qui sortaient d’une maison de piètre apparence, au coin des rues Saint-Honoré et Saint-Thomas du Louvre.