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Quant à ce coquin de Mitraille, son avis ne comptait même pas.

Le logis de M. de Saint-Venant était propre et fort bien accommodé ; toutes choses y étaient rangées en un ordre parfait, et si l’on pouvait comparer l’un à l’autre une maison et un écuyer, nous dirions que la maison de M. de Saint-Venant lui ressemblait trait pour trait.

Il mit une grâce enchanteresse à installer Guezevern et à le faire, dans toute la force du terme, maître du logis. Les quatre valises furent vidées dans la grande armoire dont Guezevern reçut la clef. On congédia les porteurs, et Mitraille reçut permission de s’aller promener, à la condition de rentrer à la nuit pour veiller sur l’épargne de M. le duc.

Quand nos deux compagnons furent seuls, Renaud de Saint-Venant embrassa encore maître Pol sur les deux joues en répétant de tout son cœur :

« Que je suis aise et ravi de vous voir ! Maintenant qu’il n’y a plus d’oreilles indiscrètes autour de nous, je puis bien vous dire, mon cher camarade, qu’il se prépare de grands événements… et, en passant, croyez-moi, défiez-vous de ce coquin de Mitraille, qui me paraît être un espion de M. le cardinal. Ceci n’est pas pour nuire au pauvre garçon, mais bien pour vous servir. Guezevern, mon ami, si les honnêtes gens ne se rallient pas en un ferme faisceau, la cour sera bientôt noyée dans le sang et dans les larmes. Cet homme aime le sang : c’est un bourreau, et le roi a de lui une si étrange terreur qu’il lui accordera, l’une après l’autre, toutes les têtes de sa noblesse. En apprenant la mort de son frère, M. de Vendôme a mis un terme à ses hésitations. Il est entré dans la grande faction dite des Honnêtes Gens, où sont les deux reines, le roi d’Espagne, le duc de Savoie, le pape, le jeune Gaston d’Orléans, M. le prince, M. le duc d’Enghien, M. le comte de Soissons, tous les ducs et pairs, tout le Parlement, toute la France.

— Mort de mes os ! gronda Guezevern, c’est trop contre une seule calotte rouge !

— C’est à peine assez, répliqua Saint-Venant, parce que derrière la calotte rouge il y a la couronne de France. Il faut vous avouer que, pour le moment, M. le duc m’honore de quelque confiance. Comme mes goûts et mes études me portent vers la robe, M. le duc a fait dessein de m’acheter une charge de maître des requêtes, pensant que je pourrais utilement le servir dans le Parlement. Il m a fait l’honneur de me consulter au milieu de ces circonstances difficiles, et c’est moi qui lui ai donne ce double avis ; Rassemblez votre épargne et tenez-vous à couvert.

— Peste ! ami Renaud ! murmura maître Pol, vous me paraissez être un fin politique, maintenant ! Assez, fit Saint-Venant d’un air modeste ; je ne dédaigne pas l’épée, mais vous verrez ce que je ferai de ma plume ! M. le duc a suivi mes deux conseils, et